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cette division les effets se faisaient déjà sentir dans les débats parlementaires aussi bien que dans les polémiques de presse. On le put constater dès le 27 mars 1874, au cours de la discussion d’une proposition d’un membre de l’extrême droite, M. Dahirel, qui disait : « Au 1er juin prochain, l’Assemblée se prononcera sur la forme du gouvernement définitif de la France. Le vote aura lieu à la tribune, par bulletins écrits et signés ». Sur cette proposition la déclaration d’urgence avait été réclamée, le gouvernement la repoussait ; M. le duc de Broglie l’avait fait en termes assez vifs. L’urgence votée, le ministère était en bas, mais 19 républicains d’extrême-gauche avaient voté contre l’urgence et le cabinet était sauvé ! Ce n’était pas la dernière fois qu’allait se pratiquer cette méthode, bonne ou mauvaise, selon les circonstances !

Toutefois, le 16 mai suivant, le cabinet de Broglie succombait sous la coalition des gauches, des légitimistes et des bonapartistes, sur une simple question de priorité de la loi électorale et de la loi municipale. Il était extraordinaire qu’il eut pu vivre aussi longtemps. La disparition de M. le duc de Broglie créait au maréchal-président la première difficulté grave depuis son élection à la magistrature suprême. Il était malaisé de former un nouveau ministère, puisqu’il n’y avait pas de majorité fixe, cohérente ; la crise ouverte le démontrait une fois de plus.

De négociations en transactions, on aboutit à un cabinet fort mélangé, d’un prestige infinitésimal, avec le général de Cissey comme vice-président nominal, car le chef réel était M. de Fourtou, homme à poigne, sans scrupules, d’un talent modeste ; il avait pris le portefeuille de l’Intérieur, le plus sérieux pour l’action politique ; M. Magne avait les Finances ; le duc Decazes était aux Affaires étrangères ; les autres portefeuilles avaient été attribués à des comparses sans autorité. Le mémorable M. de Cumont y figurait. Ce qui le caractérisait particulièrement, ce ministère, c’était un cléricalisme ardent et militant.

Le parti bonapartiste continuait à augmenter ses avantages, car il était le seul parmi les partis de droite à bénéficier de leurs irrémédiables divisions ; en outre, et le phénomène se marquait chaque jour davantage, il était le seul à regagner du terrain dans certaines régions du pays. Son activité était inlassable, il évoquait sans doute de très douloureux et très récents souvenirs, mais il évoquait aussi dix-huit années d’un régime qui s’était maintenu et avait fait, par tous les moyens, respecter son autorité. Ce dernier souvenir doublé d’une campagne qu’appuyaient la majorité des fonctionnaires, une nuée d’agents, impressionnait fortement tous ceux qu’inquiétait le provisoire et qui étaient avides de stabilité, quelle qu’elle put être. Dans le département de la Nièvre, qui avait été si cruellement éprouvé, où le parti républicain avait été si impitoyablement décimé en décembre 1851 ; où, quelques mois auparavant, un républicain avancé, le docteur Turigny, avait été élu à une imposante majorité, le 24 mai, un bonapartiste, M. de Bourgoing, ancien écuyer de Napoléon III,