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corps d’officiers qui, il faut reconnaître, était composée de partisans fidèles du régime impérial ; ils ne s’en cachaient pas et, en toutes circonstances, affichaient leur aversion envers la République. C’était le seul parti qui, décidé, affirmât une ligne de conduite nette ; servi par un esprit conspirateur traditionnel il était capable de toutes les audaces. Des trois groupes conservateurs, il était vraiment le seul à profiter de l’action parlementaire ; dans cette Assemblée où il était infime minorité numérique et qui l’avait solennellement flétri, dès ses premières séances, à Bordeaux. Il comptait un des siens, M. Magne, dans le ministère ; la nouvelle loi des maires semblait faite en sa faveur.

Quant au duc de Broglie, toutes proportions gardées, sa victoire le plaçait dans la situation embarrassée qu’avait eue M. Thiers, parce qu’il était condamné à ne rien faire de sérieux, d’effectif au point de vue politique, sous peine de provoquer les défiances, de déchaîner les colères des légitimistes et des bonapartistes ; il venait de recevoir un avertissement sérieux, lors de l’intervention de M. de Franclieu. Il allait, du reste, rapidement succomber. En effet, il n’avait plus qu’une ressource pour exécuter ses manœuvres orléanistes, gagner du temps, et le temps ne pouvait se gagner qu’en assurant le fonctionnement, toute la durée du septennat — le Maréchal-Président ne représentant, lui, que le chef impuissant d’un gouvernement d’attente. C’était de l’action parlementaire qu’il espérait une crise favorable à un membre de la branche cadette qui, comme chef du pouvoir exécutif, même comme président de la République, préparerait une restauration constitutionnelle légale. Il faisait entrer dans ses calculs l’espoir que les progrès du « radicalisme », comme on disait alors, effrayeraient les ralliés du centre gauche et les ramèneraient vers le centre droit. Pour être subtil, le calcul n’en était pas plus exact, loin de là, la France avide surtout de paix à l’intérieur et à l’extérieur, avait la sensation bien nette que tout autre gouvernement que la République provoquerait fatalement des discordes civiles et des aventures guerrières et elle allait de plus en plus s’orienter à gauche. C’est dire que les jours du ministère de Broglie étaient comptés.

La bataille s’engagea nettement, dès la circulaire qu’adressa aux préfets le vice-président du Conseil sur l’application de la loi des maires ; cette circulaire portait : « L’Assemblée nationale a conféré, pour sept années, le pouvoir exécutif à M. le maréchal de Mac-Mahon, qu’elle avait déjà désigné le 25 mai comme Président de la République. Le pouvoir qu’elle lui a remis, et dont la Commission constitutionnelle devra déterminer l’exercice et les conditions, est dès à présent, et pour toute la durée que la loi lui assigne, au-dessus de toute contestation ». Il n’en fallait pas davantage pour appeler les protestations des légitimistes ; elles furent vives, menaçantes, tellement qu’elles émurent le duc de Broglie.

Pour la première fois il fit sortir le président de son rôle passif qui, à son instigation, au cours d’une réponse au président du Tribunal de Commerce de