Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.

expliquer avaient disparu, parfois dans des conditions tragiques. Puis, il faut le reconnaître, l’activité économique qui se manifestait assurait du travail et, comme on dit vulgairement, tout le monde avait à « se refaire » après les longs mois de chômage et de misère qu’avaient duré la guerre et la Commune.

Les premiers propagandistes trouvèrent donc de grandes résistances ; trop heureux quand ils ne furent pas brutalement éconduits, quand ils ne furent pas traités d’agents provocateurs ou d’agents stipendiés par la réaction. Toutefois, une certaine activité commençait à se manifester parmi les corporations, au point de vue purement professionnel, et quelques grèves ou tentatives de grèves s’étaient produites dans le Nord, dans le Rhône et à Paris. La loi sur les coalitions, modifiée sous l’Empire, sur un rapport de M. Émile Ollivier, quoique adoucie, était toujours là, menaçante ; aussi bien les tribunaux, encore peuplés des jugés nommés par l’Empire, et les parquets envahis par les pires serviteurs de la réaction, s’entendaient merveilleusement à en interpréter les articles insidieux. Les syndicats lentement se reconstituaient sous l’inspiration de M. Barberet, qui s’attachait à les maintenir sur le terrain exclusivement professionnel, à les maintenir hors du mouvement socialiste et des grèves et son influence fut, il faut le reconnaître, déterminante à ce moment.

L’Assemblée Nationale a fait mine de s’occuper des travailleurs, chaque parti s’attachant à amener à lui le « plus grand nombre », car les travailleurs c’est la masse essentielle qui forme le suffrage universel dans les villes : le prolétariat des campagnes n’est pas, lui, un sujet de préoccupations sociales ; il paraît pour longtemps résigné à ses misères ; cependant, dans les élections partielles, qui se succèdent, il sort de sa torpeur ; il s’évade fréquemment de l’influence du clergé, des nobles et même des gros propriétaires fonciers, car il vote pour le candidat républicain. Pour les travailleurs des centres industriels, les représentants de la nation ont voté une enquête, afin de se rendre compte de leur situation ; ils ont ébauché de vagues projets de loi, un entre autres, en 1872, sur le travail des enfants dans les manufactures, tendant à modifier la loi du 2 mars 1841. Cette loi fixait à huit ans l’âge d’admission des enfants dans les manufactures ; la durée de leur travail devant être limitée, de huit à douze ans, à huit heures, et de douze à seize ans, à douze heures ; le travail de nuit était interdit au-dessous de treize ans. Le nouveau projet portait que les enfants ne pourraient être employés avant dix ans et que la durée du travail ne pourrait dépasser dix heures par jour. Ce projet était bien imparfait ; il autorisait encore l’exploitation des enfants des travailleurs dans des conditions vraiment monstrueuses, car n’est-il pas terrible de penser que des êtres encore chétifs, mal logés, trop fréquemment mal nourris, étiolés dès le jeune âge, avant même d’avoir reçu une instruction primaire à peine ébauchée, étaient condamnés aux plus dures conditions d’existence.

M. Louis Blanc était monté à la tribune pour défendre le projet et son discours avait été tellement modéré que la Droite l’avait écouté avec une atten-