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dans les campagnes, et, malgré cela, il a été obligé, pour imposer ses candidats, de recourir à la terreur. Dieu merci ! vous, vous ne faites peur à personne ! »

Le remplaçant de l’inoubliable Pascal, au sous-secrétariat de l’intérieur, était le déjà fameux Numa Baragnon, fameux par sa fougue ultra-méridionale et ultra-royaliste ; les organes du parti le présentaient comme le concurrent oratoire de M. Gambetta, comme un tribun puissant ; il n’était d’ordinaire que tonitruant, à la grande joie des frénétiques hobereaux et des frémissantes douairières ; dans cette discussion, il fut aussi ridicule que M. Beulé, mais, comme talent, il ne pouvait tomber d’aussi haut. Ce fut un véritable pitre à la tribune et son discours valait à peine d’être prononcé dans la loge d’un concierge d’Henri Monnier ! Il fallait toute la passion politique des droites pour qu’il ne portât pas un coup mortel au cabinet dont il faisait partie. Le projet de loi fut adopté, avec deux modifications seulement : le maire ne pouvait pas être choisi en dehors des électeurs de la commune et le gouvernement devait déposer un projet de loi complet et définitif sur l’organisation des communes, dans les deux mois qui suivraient la promulgation de la loi provisoire. Le parti bonapartiste avait le droit de se réjouir de ce vote, car il était le véritable bénéficiaire de la victoire du ministère.

Tandis que les partis politiques, plus enfiévrés que jamais, s’agitaient pour conserver ou conquérir le pouvoir pour le modifier, lui donner un caractère définitif, le monde du travail commençait à tenter quelques efforts ; nous avons déjà indiqué que le mouvement socialiste avait repris ; que malgré les menaces, avant le vote de la loi contre l’Internationale, malgré les procès après sa promulgation, des sections s’étaient fondées sur divers points du territoire et la propagande avait été entreprise. Les propagandistes, il faut le dire, étaient peu nombreux ; non seulement ils rencontraient de grandes difficultés du fait des entraves mises à leur action par l’arsenal des lois bourgeoises et les mesures policières, par l’absence de journaux, la difficulté de tenir des réunions, mais encore et surtout en raison des méfiances qui se manifestaient parmi les travailleurs. Ces défiances qui, vues de loin, à près de trente-cinq années d’intervalle surprennent, quoique irritantes pour ceux qui s’y heurtaient, paraissent légitimes à ceux qui ont vécu, étudié de près la période qui s’étend de la chute de la Commune à la proclamation définitive de la République.

Dans les villes ou s’était manifesté le mouvement révolutionnaire, à Paris principalement où la répression avait été si largement pratiquée et où elle se pratiquait encore, les travailleurs s’étaient d’abord repliés sur eux mêmes. Se sentant surveillés, ils osaient à peine causer entre eux de politique, même de leurs intérêts corporatifs. La politique qui leur avait valu tant de déceptions les avait d’abord peu intéressés ; ils en étaient las ; quant au socialisme, ils en avaient peur ; ils ne le comprenaient pas ; ceux qui avaient tenté de le leur