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au milieu d’une société réduite en poussière : elle est le lieu des intérêts, des affections, des habitudes, des souvenirs, noué de proche en proche.

« De ce qu’il est absolument nécessaire qu’une impulsion d’ensemble soit imprimée aux intérêts qui sont communs à toutes les fractions d’un peuple, il ne suit nullement qu’il faille écraser les intérêts propres à chacune de ces fractions sous le poids d’une brutale uniformité. Proclamez la centralisation politique, nous applaudirons, parce qu’elle répond, celle-là, à des idées d’organisation, de régularité, de solidarité nationale et de puissance ; mais ne prétendez pas nous imposer la centralisation administrative, qui n’est qu’une cause d’atrophie.

Voulez-vous en même temps qu’un pouvoir fort, une nation forte, ce qui est bien le plus important ?… Facilitez-lui, au lieu de l’entraver, la pratique de ce self government auquel les États-Unis et l’Angleterre doivent une partie de leur grandeur. (Approbation sur divers bancs à gauche.)

« Après tout, un peuple n’a qu’un moyen de mériter d’être libre. C’est de commencer par être libre. La liberté a su parvenir à se régler partout où on lui a laissé le soin d’elle-même. N’essayez pas de tuer la liberté pour lui apprendre à vivre (Applaudissements à gauche). L’ordre y gagnera.

« Dans son beau livre sur la démocratie en Amérique, M. de Tocqueville a excellemment constaté que l’esprit de localité était un élément essentiel de l’ordre : qu’il tempérait les passions qui, dans des sphères plus hautes, deviennent aisément subversives, et qu’en se développant près du foyer domestique, il produit ― ce sont ses propres expressions ― « un mouvement continu, mais paisible, qui agite les sociétés sans les troubler.

« Ajoutez à cela que, dans un pays où tout dépend de l’impulsion partie du Centre, la société est toujours à la veille d’un bouleversement, étant toujours à la merci d’un coup de main ou d’un coup d’État (très bien ! très bien ! à gauche).

« Voilà pour l’ordre véritable. Je ne parle pas de celui qui n’est qu’immobilité dans la résignation et le silence dans la douleur….. »

Pour être moins beau au point de vue littéraire et moins élevé au point de vue philosophique, le discours d’un autre membre de la gauche, M. Christophle, fut très précis, très énergique ; il s’attacha surtout à démasquer la manœuvre électorale que masquait le projet de loi : « Votre but, le voici : vous voulez faire un acte politique et renouveler la candidature officielle. Vous voulez trouver dans le maire un agent électoral, et vous n’hésitez pas à le prendre en dehors du conseil et même de la commune, afin qu’il soit plus à votre discrétion. Ce que vous faites, l’Empire n’a osé le faire que dans les villes au dessus de quarante mille âmes. J’ai montré votre but. Êtes-vous de l’atteindre ? Je suis convaincu du contraire. Comme les élections vous ont été défavorables, vous retournez à la candidature officielle. Mais l’Empire avait ce que vous n’avez pas. En 1852, il avait le prestige, un immense prestige