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ne serait pas fusillé, ne serait même pas dégradé ; durant vingt années il serait condamné à expier son crime dans le fort de l’île Sainte-Marguerite, sur la côte d’azur, climat sans doute plus favorable que celui réserve aux « communards ». Il devait s’en évader trop aisément, moins d’un an après ! De tels jugements, de tels actes ne se commentent pas ; il suffit de les exposer.

Pour effectivement gouverner la France, c’est au moins ce que pensait le duc de Broglie, il fallait tenir en mains les municipalités, c’est-à-dire faire des maires de simples agents du ministère de l’Intérieur et les doubler d’une police vigilante, capable d’agir et résolue à l’action. Cette seconde partie du programme n’était pas difficile à réaliser ; l’ordre moral eut pu éviter bien des dépenses ; elle avait une police volontaire répandue dans tous les départements. Sans caractère officiel, elle n’en était que plus sûre pour le pouvoir, que plus dangereuse pour ses adversaires. Elle se serait composée de la foule de gens prêts à servir tous les régimes quelles que puissent être leurs origines, leurs moyens, leur but, et se serait recrutée dans toutes les classes de la société, chacune ayant ses tares et ses scories. Mais il lui fallait quand même cette police apparente, officielle, qui impressionne les naïfs, les peureux et peut intervenir efficacement durant les périodes électorales. Car, à ce moment, gouverner, pour le parti conservateur, c’était préparer la reconquête des sièges gagnés par les républicains et préserver ceux qui paraissaient menacés, — ils devenaient de plus en plus nombreux.

L’Assemblée nationale avait bien déjà voté une loi municipale fort dure : Lyon avait été dépossédé de la mairie centrale et Paris était placé sous un régime d’exception. Pour si rétrograde que fut cette loi, elle ne paraissait plus suffisante. Un projet de loi tendant à aggraver la situation des municipalités avait été élaboré et déposé par le nouveau cabinet : ce n’était encore que du provisoire, il est vrai, puisqu’il ne devait rester en vigueur que jusqu’à la définitive organisation des communes. Pour les gouvernements de hasard, le provisoire offre toujours des avantages, car il favorise bien des intrigues et facilite bien des expédients.

Ce projet donnait au gouvernement la nomination de tous les maires : au président de la République, c’est-à-dire au ministre de l’Intérieur, la nomination des maires dans les chefs-lieux de départements, d’arrondissements et de cantons ; aux préfets, c’est-à-dire encore au ministre de l’Intérieur, celle des maires des autres communes. C’était déjà une sérieuse aggravation de la loi précédente, mais ce n’était encore rien à côté de l’article qui autorisait à choisir, en dehors du conseil municipal, le successeur d’un maire démissionnaire ou révoqué ! On ne pouvait afficher un plus public et plus significatif mépris du suffrage universel. Quant à l’organisation policière destinée à compléter cette œuvre magistrale, elle était d’une simplicité exquise : Préfets et sous-préfets, dans les chefs-lieux de départements et d’arrondissements, se doublaient de véritables préfets de police, cumulant les deux fonctions ; pour