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rantes. L’Association Internationale des Travailleurs avait fait de nombreux adhérents et de nombreuses sections s’étaient formées. Parmi leurs délégués au Congrès de La Haye, les deux tendances s’étaient manifestées et une hostilité très vive avait fini par provoquer une scission ; une fraction, la plus faible, restant fidèle au Conseil général, l’autre se rattachant au programme du Congrès antiautoritaire tenu à Saint-Imier, c’est-à-dire au programme collectiviste-anarchiste.

En somme, l’Espagne paraissait désemparée à tous les points de vue : politique, économique, financier, et elle se trouvait hors d’état de faire figure dans le concert des puissances.

L’Angleterre, solidement encadrée dans ses traditions nationales, réglée dans son évolution politique par son loyalisme vis-à-vis de son gouvernement monarchiste libéral, observant avec une attention intelligente tout ce qui se produisait dans le monde, en vue d’y cueillir de nouveaux avantages, affirmait de plus en plus sa politique coloniale où déjà se manifestait l’impérialisme. Sa flotte que sans cesse elle développait, sa puissance financière obligeaient tous les gouvernements à compter avec elle. Se confinant dans un habile isolement, elle voyait solliciter son concours éventuel ; elle ne se refusait pas mais se livrait encore moins, déjà préoccupée de la situation que peu à peu mais sûrement se créait l’Allemagne sur les marchés économiques du monde entier. Elle portait plus particulièrement son attention sur le bassin de la Méditerranée, visant déjà l’Égypte, clé de la route des Indes et de l’Afrique centrale et se préoccupait de l’aspect nouveau pris par la question d’Orient depuis que, la France immobilisée pour plusieurs années, la Russie portait ses vues sur Constantinople et montrait une grande activité dans les provinces Balkaniques.

Sa politique intérieure oscillait entre le parti libéral et le parti conservateur, se succédant tour à tour au pouvoir, assez prudents tous doux pour faire à la classe ouvrière des concessions qu’ils considéraient comme autant de soupapes de sûreté destinées à prévenir des explosions de mécontentement ou de revendication. Sans se laisser émouvoir ou toucher par les cris des répresseurs de Mai, les démarches diplomatiques du ministre Jules Favre, elle avait donné asile à la majeure partie de ceux qui avaient échappé à la bataille des rues, aux arrestations en masse, aux conseils de guerre. Elle ne les considérait pas comme un danger, car elle estimait, non sans raison, que sa classe ouvrière, exclusivement attachée au développement progressif de ses associations corporatives, de ses trades unions, ne risquait pas d’être contaminée par l’idée socialiste et révolutionnaire. Néanmoins, l’Idée commençait à se manifester presque imperceptible et, en quelques années, elle allait réaliser de sensibles progrès. L’ouvrier anglais, entrant peu à peu dans le mouvement international, allait prendre sa place de bataille dans les rangs du prolétariat conscient qui plus haut et plus loin qu’une question de salaires, de condition matérielles et