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tration peuplée de leurs créatures, de l’armée, ils comptaient surtout sur des bataillons d’une activité autrement puissante : les bataillons de l’armée cléricale.

En effet, l’agitation cléricale, qui s’était déjà manifestée assez intense, mais qui avait abouti au retentissant fiasco de la pétition des évêques devant l’Assemblée où, cependant, la majorité lui était favorable, se sentait désormais sur un terrain plus sûr et, aussitôt après la victoire du 24 mai, la constitution du nouveau ministère, elle prit une recrudescence qu’on ne lui avait pas connue depuis les premières années de la restauration et que la monarchie de juillet, l’empire, lui-même, n’auraient pas tolérée.

Missions, pardons, pèlerinages s’organisèrent partout, avec l’empreinte éclatante du royalisme et l’ultramontanisme. Chaque église, chaque chapelle devint une place forte, chaque chaire une tribune politique, chaque confessionnal un poste avancé. Clergé séculier, congrégations, jésuitières, tout se mit en branle, au moment même où l’Espagne de l’Inquisition se mettait en république ! « L’ordre moral » devint le « gouvernement des curés. » La guerre à la presse républicaine, qui n’avait du reste pas cessé un instant, reprit de plus belle : innombrables furent les procès intentés, les condamnations prononcées ; dans les départements encore placés sous le régime de l’état de siège, la besogne était moins compliquée, plus rapide. L’action de la justice militaire contre les nombreux prisonniers du mouvement communaliste ne s’était pas interrompue, on fusillait encore de temps en temps, pour faire des « exemples » ; loin de se ralentir, elle s’activa fiévreusement ; les départs en Nouvelle-Calédonie s’organisèrent ; bien mieux, on procéda encore à de nouvelles arrestations ; les dénonciations ne s’étaient pas apaisées. M. A. Ranc, qui avait été élu membre de la Commune, mais qui, dès le 6 avril, avait donné sa démission et était un des plus fermes, des plus dévoués partisans de M. Gambetta et de sa politique peu sympathique au mouvement du 18 Mars, avait été récemment élu député du Rhône ; il était plus qu’évident qu’on ne pouvait l’incriminer comme « communard ». Il le fut cependant et une demande en autorisation de poursuites fut adressée contre lui à l’Assemblée par le général Ladmirault, gouverneur de Paris. Elle fut votée ; il se rencontra seulement 137 députés républicains pour s’y opposer. M. Ranc, naturellement, ― c’eût été de la candeur d’attendre ― avait mis la frontière entre lui et le conseil de guerre qui le condamna à mort, par contumace ! Ce seul fait, monstrueux, était pour indiquer l’état d’esprit du parti conservateur et de ce parti « modéré » dont le républicain-plébiscitaire M. de Laboulaye était le plus bel ornement.

Le mot qui avait été prononcé se justifiait de plus en plus : « Quand il s’agit de politiques effective, il y a trois partis dans la majorité, mais quand le cléricalisme est en jeu, il n’y en a qu’un et il est indivisible ». On le vit surtout lors de la discussion des interpellations relatives aux odieuses mesures prises par le préfet Ducros contre les enterrements civils, à l’attitude de la délégation de