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formé des fidèles de la veille, la minorité relativement imposante constatée au plébiscite de 1870, et des ralliés des lendemains de Sedan, de Metz, de la conclusion de la paix, de l’annexion de l’Alsace-Lorraine, la chute de M. Thiers est diversement appréciée. Il serait puéril de contester que la grande majorité du parti avait une confiance illimitée en le chef du pouvoir exécutif ; c’était un sérieux mouvement d’opinion qui l’avait fait élire par un grand nombre de départements, puis porté à la première magistrature dès la réunion de l’Assemblée nationale à Bordeaux. De cette majorité, il était vraiment le représentant, puisqu’elle était, avant tout, conservatrice et que lui, avant tout, était conservateur. Elle avait eu peur du gouvernement de la Défense nationale, cette majorité et, cependant, elle n’avait rien à en redouter ; mais elle ne pouvait lui pardonner de s’être montré, au moins dans la personne de M. Gambetta, partisan de la continuation de la guerre et d’avoir usé de procédés d’apparence dictatoriale, révolutionnaire ; — ils n’en avaient eu que l’apparence. M. Thiers était pour elle la « sagesse » même ; un vieux politique rompu à toutes les questions parlementaires ; elle voyait en lui un diplomate, depuis que, sans mandat officiel, du reste, il avait sollicité auprès des cours étrangères une intervention en faveur de la France, et il l’avait rassurée quand avait éclaté la Révolution du 18 mars, quand l’heure de la répression avait sonné. On pouvait compter sur lui pour assurer l’ordre et défendre la propriété.

Dans la minorité existaient certainement des défiances envers l’ancien ministre de Louis-Philippe, le réacteur orléaniste de 1848 resté orléaniste, ceci paraissait évident ; mais ces défiances, peu à peu, s’étaient dissipées au cours des manœuvres de M. Thiers, devant les divisions dynastiques de la droite qui les facilitaient tout en les rendant parfois très délicates et elle avait appuyé sa politique parce que, estimant qu’elle barrait la voie aux projets de restauration, elle ne pourrait que maintenir le statu quo, c’est-à-dire permettre à la France de se ressaisir et favoriser rétablissement futur de la République.

Une fraction de cette minorité républicaine, toutefois, n’avait pu oublier la versatilité si fréquemment manifestée, au cours de sa longue carrière, par M. Thiers ; elle le savait monarchiste constitutionnel dans l’âme ; elle connaissait toutes ses répulsions non déguisées pour toutes les idées démocratiques. Libéral ennemi de la liberté, il avait fait preuve de poigne contre les républicains, sous la monarchie de Juillet. N’était-il pas l’homme de l’affaire sanglante de Transnonain ; l’ennemi de la liberté de la presse, le partisan du pouvoir temporel du Pape ; n’avait-il pas été de ceux qui avaient combattu l’unité de l’Italie ? Néanmoins, cette fraction faisait bloc avec le reste du parti républicain pour le défendre, le soutenir, quand les droites lui livraient un de leurs furieux assauts.

C’est qu’il importait avant tout de conserver l’étiquette républicain, c’est-à-dire d’empêcher une restauration quelconque.

Aussi faut-il, par la pensée, se reporter à cette époque pour comprendre