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dature de M. de Rémusat et déclaraient dangereuse celle de l’ex-maire de Lyon, MM. Gambetta, Rouvier, Challemel-Lacour, Louis Blanc, Edmond Adam appuyaient la candidature Barodet et, dans une grande réunion privée à Belleville, Gambetta prononçait un grand discours en sa faveur. Après le succès de M. Vautrain contre Victor Hugo, les modérés escomptaient une nouvelle erreur de Paris ; grande fut leur déception : M. Barodet fut élu par 180.000 voix contre 135.000 à M. de Rémusat ; la candidature du colonel Stoffel ne rallia que 27.000 voix. C’était un écrasement pour la réaction bonapartiste et cléricale, un grave échec pour M. Thiers. La victoire républicaine remportée à Paris fut accueillie avec enthousiasme dans tous les centres démocratiques. On écrivit, on a écrit depuis que cette élection joua un rôle prépondérant dans les manœuvres menées par le parti conservateur contre le chef du pouvoir exécutif. Assertion inexacte, incrimination plus perfide que fondée. Tout était prétexte aux adversaires de M. Thiers pour le combattre, aussi bien ce dernier, par son attitude si fréquemment indécise, par ses nombreuses capitulations, par ses obstinations étroites, avait-il fini par lasser tout le monde. En réalité ce n’était plus qu’une épave ballottée, puisqu’il n’avait su ou voulu se fixer ; il allait être emporté au premier orage sérieux. Chaque élection lui avait été une indication, un avertissement ; il n’avait voulu ni voir ni entendre, les scrutins des 27 avril et 11 mai, dans les départements, devaient, une fois de plus, affirmer le développement du parti républicain et l’orientation d’une importante fraction vers le radicalisme, tel qu’on le concevait à cette époque ; dans tous ses programmes électoraux figurait la prompte dissolution de l’Assemblée nationale. À Lyon, sur six députés à élire, cinq furent républicains, dont M. A. Ranc ; dans les Bouches-du-Rhône, M. Édouard Lockroy fut élu, partout, sauf dans le Morbihan et la Charente-Inférieure, où un clérical-monarchiste et un bonapartiste battirent, à très peu de voix près, les candidats républicains, l’écrasement de la réaction fut complet.

Perdus au point de vue électoral, le parti monarchiste et la faction bonapartiste n’avaient plus d’espoir que dans l’action parlementaire et, au besoin, extra-parlementaire ; ils allaient se mettre à l’œuvre dès la rentrée de l’Assemblée. Ils se sentaient ragaillardis depuis que M. Buffet avait remplacé M. Jules Grévy au fauteuil de la présidence ; c’était bien l’homme qui convenait à leurs projets ; autant M. Grévy s’était montré froid, apathique et avait eu en des circonstances graves, une attitude inexplicable, autant M. Buffet allait manifester sa partialité, son activité, sa haine des idées républicaines les plus modérées. Sous sa présidence, les énergumènes, les grotesques de la Droite allaient donner libre cours à leurs fantaisies, fréquemment du goût le plus déplorable.

Sous des déclarations libérales, c’était un autoritaire énergique et obstiné, à mine renfrognée. Il avait manifesté sa « poigne » durant les vacances à l’occasion d’un discours prononcé par M. Jules Simon, à la Sorbonne, devant