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romaines pour protéger la Papauté contre les entreprises de la République et de la Monarchie ! Puis, en l’occurence, la France seule pouvait agir ; des trois grandes nations catholiques d’Europe, l’Italie étant naturellement mise hors de cause, deux étaient contraintes au rôle de spectatrices impuissantes, l’Autriche non remise de ses défaites de 1866 et attirée dans l’orbite de l’Allemagne ; l’Espagne, l’Espagne du fanatisme religieux, de l’Inquisition, ayant pour roi — temporaire il est vrai — un prince de la maison de Savoie.

Suscité avec l’habileté perfide du clergé, un mouvement d’opinion se manifesta, assez vif pour émouvoir le parti républicain et M. Thiers lui-même, car il était gros de complications graves, avec l’Italie d’abord, puis avec l’Allemagne où M. de Bismark venait d’engager la mémorable action du Culturkampf. M. Thiers se crut obligé d’offrir à Pie IX un asile en France et un palais, le château de Pau. Le Pape refusa et ce refus eut pour conséquences une série de difficultés diplomatiques qui produisirent une impression profonde dans toute l’Europe, particulièrement en France. Elles eurent pour premier et principal résultat de porter un coup terrible au parti clérical dont les audaces ne connaissaient plus de bornes et qui ne parut plus, même aux yeux des moins clairvoyants, que comme un fauteur de désordres à l’intérieur et un danger dans le domaine de la politique extérieure, celui où passé, présent et avenir nous commandaient, nous imposaient la plus grande prudence.

C’est à cette époque, dans cette série d’incidents, que se manifesta le mouvement anticlérical dans lequel la libre-pensée devait rencontrer ses éléments principaux et commencer sa propagande méthodique. Ses débuts ne furent pas aisés, car ce fut avec acharnement que furent saisis brochures et journaux et condamnés ses propagateurs par des parquets et des juges, les premiers monarchistes, les seconds bonapartistes, tous défenseurs jurés de la religion catholique, tous au service de toutes les réactions.

Ce qu’il faut maintenant, c’est acculer M. Thiers soit à la capitulation complète, sans réserve, devant les exigences conservatrices, soit à la retraite ; la libération du territoire s’approche, on pourra manœuvrer plus largement, plus à l’aise et la Commission des Trente a les moyens, elle les élabore du reste, de préparer le terrain en l’aménageant dans les conditions les plus favorables aux combinaisons qui s’organisent. M. Thiers en avait le pressentiment fort net. N’avait-il pas dit à M. Jules Simon, dès les débuts de l’année 1873 : « Je n’ai pas à m’en occuper, du reste, car aussitôt la convention signée (relative à l’évacuation de tout le territoire), la majorité déclarera, par un beau décret, que j’ai bien mérité de la patrie et elle me mettra par terre. » Toutefois, le 18 mars suivant, après le vote par lequel l’Assemblée déclarait qu’il avait bien mérité de la Patrie, M. Thiers ne paraissait pas avoir perdu tout espoir, affirmant que le seul qui put le remplacer, le maréchal de Mac-Mahon, n’accepterait jamais !