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vous regarde pas ! Je trouverais une manière de me retirer, et je laisserais faire ceux qui pourraient restaurer la monarchie.

« Interrompez-moi en ce moment, si vous croyez que l’intérêt du pays est de faire la monarchie aujourd’hui ; faites-moi descendre la tribune, prenez le pouvoir, ce n’est pas moi qui vous le disputerai.

« Messieurs, voilà qui je suis. Je suis un vieux disciple de la monarchie, je suis ce qu’on appelle un monarchiste qui pratique la République par deux raisons : parce qu’il s’est engagé, et que, pratiquement, aujourd’hui, il ne peut pas faire autre chose. Voilà quel républicain je suis ; je me donne pour ce que je suis, je ne trompe personne.

« Eh bien l’équivoque va cesser à l’instant même. Vous me demandez pourquoi on m’applaudit. Le voilà !

« Ce n’est pas parce que j’ai failli aux doctrines de ma vie ; ce n’est pas parce que je partage les opinions des honorables députés qui siègent sur ces bancs (l’orateur montre la gauche) ; ce n’est pas parce que je partage les opinions non pas des plus avancés, mais des plus modérés. Non ! ils savent que sur la plupart des questions sociales, politiques et économiques, je ne partage pas leurs opinions ; ils le savent ; je le leur ai dit toujours.

« Non, ni sur l’impôt, ni sur l’armée, ni sur l’organisation sociale, ni sur l’organisation politique, ni sur l’organisation de la République, je ne pense pas comme eux.

« Mais on m’applaudit parce que je suis très arrêté sur ce point : qu’il n’y a aujourd’hui, pour la France, d’autre gouvernement possible que la République conservatrice. »

C’était en substance le mot fameux prêté à Lafayette, renversé : il n’est plus possible après la cruelle, démonstrative leçon que la France vient d’essuyer, d’esquiver la République, eh bien, tâchons d’en faire la meilleure des monarchies !

Entichés de formules vieillies, étroitement attachés à leurs traditions, à leurs princes, conseillés par des ambitieux sans scrupules, perfides mais d’une rare et insigne maladresse, les monarchistes ne surent pas comprendre M. Thiers, répondre à l’effet désespéré qu’il leur adressait ; heureusement on ne peut que se féliciter de leur aveuglement, de leurs obstinations absurdes.

Ils pouvaient, avec l’homme qui avait déclaré être hostile au programme des républicains de la veille les plus modérés, organiser la République antirépublicaine et ils laissaient échapper l’occasion ! Désormais, les Droites vont accumuler contre elles toutes les hostilités, et tous leurs projets, tous leurs actes vont activer le mouvement républicain tout autant que le pourront faire les plus ardentes campagnes des propagandistes. Pouvait-il en être autrement, quand le pays tout entier assistait à ce spectacle paradoxal, inexplicable : la majorité de l’Assemblée manœuvrant en vue de renverser un chef du pouvoir exécutif qui lui tendait les bras et implorait sa collaboration contre toutes les fractions du parti républicain ?