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Et si la France impériale n’a organisé puissamment l’armée de la France ni selon le type de 1832, ni selon le type nouveau, ce n’est pas la faute de M. Thiers. Mais, dans son système politique, où seraient les alliances de la France ? Malgré les incohérences, malgré les contradictions de la politique impériale, la France avait encore beaucoup d’amis en Italie. La plupart des patriotes italiens n’oubliaient pas son intervention de 1859. Ils lui en voulaient sans doute d’avoir arrêté, par la paix de Villafranca, l’essor de la nationalité italienne. Mais enfin, ils savaient bien qu’un jour ou l’autre le mouvement d’unité aboutirait et ils savaient aussi que le concours de la France avait ajouté à la force initiale d’impulsion. Il est vrai qu’en 1866, c’est par une alliance avec la Prusse que l’Italie avait arraché à l’Autriche la Vénétie. Mais, tandis qu’une partie de l’opinion française, en 1859, avait cédé à un entraînement de générosité, la Prusse de 1866 avait servi seulement ses desseins propres. C’est seulement par contre-coup que l’Italie avait bénéficié de la victoire prussienne. D’ailleurs, il était visible que l’abstention de Napoléon avait seule rendu possible ou du moins avait largement facilité la victoire de la Prusse ; et, quoique l’amour-propre de l’Italie se fût irrité de la médiation de la France recevant la Vénétie des mains de l’Autriche et la repassant à l’Italie, ce n’était pas seulement dans la forme, c’est aussi au fond que l’Italie tenait la Vénétie de la France. Car nul ne doutait alors que l’alliance de Napoléon III et de l’Autriche eût empêché le succès de M. de Bismarck. Ou si, malgré la défaite de M. de Bismarck, l’Autriche victorieuse eût, selon les stipulations du traité secret, rétrocédé la Vénétie, c’est bien évidemment à la France que l’Italie en eût été redevable.

Le prestige de la France en Italie était donc resté très grand : et pour que la France trouvât en Italie des sympathies actives et même une alliance, il aurait suffi sans doute que la France cessât d’interdire à l’Italie l’entrée à Rome. Les événements diplomatiques de 1869 et de 1870, connus maintenant avec certitude par des documents d’archives, montrent assez qu’à ce prix l’alliance de l’Italie était au moins infiniment probable. Mais cette alliance, M. Thiers, obstiné à défendre contre les revendications du peuple italien et de la maison de Savoie l’indépendance des États romains, ne pouvait pas la donner à la France. Bien mieux, il jetait l’Italie, quoi qu’il en eût, dans les bras de la Prusse. C’est avec une sorte de fureur qu’en décembre 1867 il dénonce les ambitions italiennes. Laisser l’Italie poursuivre son œuvre d’unité, lui permettre d’occuper les États romains, d’enlever au pape sa souveraineté temporelle, c’est lui donner congé de bouleverser l’Europe, d’enlever aux catholiques de l’univers une garantie à laquelle ils ont droit, la certitude de la pleine indépendance de leur chef. Il faut dire une bonne fois à l’Italie que c’est fini, bien fini, qu’elle n’ira pas plus loin. La convention de septembre 1864, par laquelle la France s’est engagée à retirer ses troupes des États romains sous la condition que l’Italie elle-même les protégera contre toute agression, est une duperie.