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je le disais l’autre jour, de revenir sur les événements accomplis ; elle doit être de les arrêter, de les suspendre, de les ralentir au moins, et la guerre, au contraire, les précipiterait.

« Je n’ajouterai pas d’autres raisons que je pourrais vous donner cependant ; elles sont bien fortes, et vous les connaissez, comme moi.

« La guerre serait donc une folie ; mais si la guerre est, selon moi, une folie, je trouve néanmoins votre confiance, honorable sans doute pour vous et pour ceux auxquels vous la témoignez, je trouve votre confiance quelque peu hasardée : car je ne puis regarder la Prusse comme une puissance aussi peu offensive que vous paraissez le croire ; et j’avoue que je ne suis pas disposé à lui dire, ainsi que vous sembliez le faire ces jours derniers : Vous si bonne voisine, si désintéressée, si revenue du système des annexions, si peu portée à jalouser vos voisins… (on rit) ; non, je ne vois pas avec déplaisir, avec jalousie tout ce que vous préparez…

«… On nous dit : Mais la Prusse a de bons procédés pour nous. — Tant mieux ! On ajoute qu’elle ménage nos susceptibilités nationales ! — Tant mieux encore ! Pourtant si vous pouviez voir tout ce qui s’imprime à Berlin, soit sous forme de journaux, soit sous forme de gravures satiriques, vous reconnaîtriez que nos susceptibilités ne sont pas ménagées autant que vous le dites.

« Mettons cela de côté, car des articles de journaux, des caricatures ne sont rien. Mais enfin, soit la Prusse ménage nos susceptibilités nationales ; je le crois. M. de Bismarck est un homme fort habile, et il comprend qu’une nation aussi puissante, aussi chatouilleuse que la nôtre a besoin d’être ménagée. Profitez-en sans y ajouter toutefois la confiance si absolue qu’on témoignait ici l’autre jour. Je ne suis donc pas pour cette politique ambitieuse qui serait le signal de ravages dans le monde, mais je ne suis pas non plus pour cette politique trop confiante que je viens de décrire : je suis pour une politique vigilante. »

Mais, encore une fois, comment M. Thiers pouvait-il se dissimuler à lui-même qu’il rendait la guerre inévitable ? Il avait beau demander que la France donnât l’exemple du désintéressement et de la sagesse, renonçât à ces folles pensées ou sur la Belgique ou sur le Luxembourg, qui avaient inquiété les esprits. Il avait beau presser l’Empire de ne plus revenir à ces formules sur les « grandes agglomérations » qui semblaient contenir en même temps qu’un acquiescement aux ambitions italiennes et allemandes, l’aveu des ambitions françaises. Il savait bien, il ne pouvait pas ne pas savoir que Rome représentait pour l’Italie un intérêt plus vital et d’un autre ordre que le Luxembourg pour la France. Il ne pouvait pas ignorer qu’il ne suffisait pas que la France renonçât à la Belgique pour que l’Allemagne renonçât à son unité. Que la France déjà constituée, organisée en une nation compacte et forte, répudiât toute pensée de conquête sur le peuple de Belgique dont nul citoyen ne l’appelait, ce n’était pas une raison pour les patriotes des États allemands