Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’Empereur pensait que la France ne peut, sans en être amoindrie, acquiescer à l’union de l’Allemagne, et qu’un devoir de premier ordre nous oblige à la combattre, malgré l’attitude de la Russie, malgré l’affaiblissement de l’Autriche, malgré l’état d’anarchie où les partis ont jeté l’Italie. Je comprends que dans ce cas nous attendions les événements sans plus nous expliquer que nous ne l’avons fait jusqu’à présent et que nous choisissions notre heure pour rappeler la Prusse à la stricte observation du traité de Prague. Si nous n’avons pas été partie à cet acte, nous en avons tracé les préliminaires et nous les avons offerts aux puissances belligérantes qui, en les acceptant, ont contracté envers nous les obligations morales de ne pas en excéder les clauses…

« La question de droit, à mon sens, ne saurait donc être douteuse, mais il ne faut rien nous dissimuler ; le sentiment public en Allemagne a généralement pressé le Gouvernement prussien d’entrer dans la voie où il s’avance ; l’union d’abord, la liberté ensuite, tel a été le programme du parti national comprenant toutes les nuances libérales modérées, dès qu’il a pu se rendre compte de la portée des succès obtenus par les armées prussiennes, et c’est avec des transports d’enthousiasme et de haine qu’il seconderait le gouvernement du Roi dans une guerre contre la France pour en assurer l’entière exécution. Il y a eu en Allemagne des particularistes qui ont à leur tête les princes déchus et la plupart de ceux qui ont conservé leur pouvoir souverain. Il règne dans plusieurs États secondaires un éloignement invincible contre tout ce qui tient au Gouvernement prussien. Dans le Hanovre et en Saxe, comme parmi les démocrates et les populations catholiques du Midi, ces sentiments sont plus ou moins partagés ; mais, au début d’une guerre nationale, les plus obstinés parmi ceux qui les professent ne pourraient que s’abstenir d’y participer : ils devraient s’effacer devant les masses, qui y applaudiraient en s’imposant avec passion les sacrifices qu’on leur demanderait. Cette situation subirait nécessairement l’influence d’une première bataille, si elle était funeste à la Prusse on verrait se manifester ouvertement les ressentiments qui sont nés de l’abus qu’elle a fait de la victoire.

« Mais les populations allemandes en général regarderaient la lutte, quelles que soient les circonstances au milieu desquelles elle éclaterait, comme une guerre d’agression de la France contre leur patrie, et si le sort des armes leur était favorable, leurs exigences ne connaîtraient plus de limites ; elles égaleraient celles de la Prusse, qu’il a toujours été si difficile de satisfaire toutes les fois qu’elle a été victorieuse. C’est donc une guerre formidable, dans laquelle tout un peuple au début prendrait parti contre nous, que nous aurions à soutenir ; le gouvernement de l’Empereur ne saurait, par conséquent, mettre trop de soin à en peser d’avance toutes les chances et à mûrement réfléchir avant de prendre la détermination que lui semblerait exiger l’intérêt et le salut du pays.

« J’arrête ici cet exposé, que je recommande plus encore à votre indulgence