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conduite que nous tiendrons devant l’union du Nord et du Midi que l’on se préoccupe, et rien, ni dans notre langage ni dans nos actes, ne leur semble démontrer que nous n’y mettrons pas obstacle ; ils interprètent au contraire nos paroles, quelque mesurées qu’elles puissent être, et nos armements, comme des indications certaines d’un parti pris de nous y opposer. Ce qu’on nous demande, en un mot, c’est que nous n’entravions en aucune façon les arrangements qu’on veut absolument prendre avec les États du Midi.

« Si telle devait être notre résolution définitive, j’oserais dire qu’il conviendrait de ne pas négliger les occasions qui pourraient nous être offertes pour l’attester. Ce serait inaugurer une politique de paix, et elle ne peut produire les bienfaits qu’il serait permis d’en attendre qu’en dissipant complètement les nuages qui subsistent entre la France et l’Allemagne. L’incertitude qui agite profondément les esprits de ce côté-ci du Rhin est le moyen dont le Gouvernement prussien se sert pour tenir éveillées les susceptibilités de l’esprit public ; elle a un inconvénient encore plus grave, celui de resserrer chaque jour davantage les liens qui unissent la Prusse à la Russie, de solidariser les ambitions de l’une en Allemagne avec les ambitions de l’autre en Orient.

«… Je me borne à constater que la Russie se montrerait moins entreprenante, que la Prusse, de son côté, et ne l’encouragerait pas à réveiller la question d’Orient pour la simple raison qu’elle ne saurait y trouver elle-même aucun avantage, si elle ne croyait indispensable de payer de ce prix la liberté qu’elle revendique en Allemagne.

« Une autre remarque non moins digne d’être notée, c’est que la défiance dont nous sommes l’objet en Allemagne est un élément essentiel de l’autorité et du prestige acquis à M. de Bismarck ; elle groupe autour de lui tous les partis modérés et les porte à lui sacrifier les principes qu’ils représentent. Votre Excellence n’ignore pas avec quelle habileté le Président du Conseil soit, à la veille des élections, soit avant une discussion importante, a su agiter le fantôme de l’intervention française, et il n’aurait même pas obtenu du pays des majorités si complaisantes, s’il ne lui eût pas été facile de leur persuader que l’ennemi veillait aux frontières. Que ces appréhensions s’effacent et M. de Bismarck rencontrera dans l’opinion libérale, prépondérante en Prusse autant que dans les autres États germaniques, la ferme volonté de soumettre tous les actes du Gouvernement prussien à un contrôle sérieux, d’où naîtraient des conflits intérieurs et une certaine limitation des pouvoirs immenses conférés à la Couronne. Il faut rendre cette justice aux Allemands, c’est que les sentiments qu’ils nous témoignent leur sont généralement inspirés par le souvenir et la crainte des invasions dont leur pays a été le théâtre, et rassurés contre une si funeste calamité, ils emploieraient toutes leurs forces à peser sur leurs gouvernants pour les contraindre à accepter franchement, dans toutes leurs conséquences, les institutions des États libres.

« Ces diverses considérations seraient sans valeur si le Gouvernement de