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caractères d’un parlement national, et elle voudra peut-être, avant longtemps, revendiquer une part plus grande de la puissance publique ».

Ainsi, ni au point de vue national, ni au point de vue démocratique, la France n’avait le droit de s’opposer à l’entière unité allemande, même réalisée par des moyens de force. L’acceptation loyale de cette unité n’aurait affaibli en rien la sécurité et la vitalité de la France, si, d’ailleurs, celle-ci s’était débarrassée de l’esprit d’incohérence et d’aventure de l’absolutisme. Et la démocratie française pouvait attendre avec confiance le jour où la démocratie allemande délierait le corselet de fer où la politique bismarckienne l’enserrait.

Mais, hélas ! même après la circulaire La Valette, la politique impériale ne renonça pas à ses bouderies, à ses jalousies, à ses arrière-pensées. Après la détestable tentative diplomatique sur la Belgique, la ridicule et humiliante tentative sur le Luxembourg atteste que l’Empire ne prend pas son parti de l’unification allemande et que son amour-propre dépité cherche de misérables compensations en attendant de plus substantielles revanches. Ce fond mauvais de la politique de l’Empire transparaissait toujours. Même quand M. Rouher, pour justifier l’abstention militaire de l’Empereur après Sadowa, affirmait que la France n’avait rien perdu à la victoire de la Prusse, même quand il démontrait que l’unité allemande, dès longtemps préparée par l’union douanière, par le mouvement enthousiaste des esprits comme par le groupement des intérêts, était un fait historique nécessaire, même alors il laissait percer le dépit de la vanité blessée et d’inquiétantes réserves. À mots à peine couverts, il interdisait à la Confédération du Nord de s’étendre à toute l’Allemagne : et quand l’empereur Napoléon, sous prétexte de faire à l’empereur d’Autriche une visite de deuil pour la mort de l’archiduc Maximilien, s’entretenait à Salzbourg avec François-Joseph, toute l’Allemagne était convaincue que l’objet de l’entrevue était de préparer la revanche de 1866 et de comprimer sinon de refouler l’élan de la nationalité allemande.

C’est ce que M. Benedetti marquait avec force dans un mémoire du 5 janvier 1868, où il pressait le gouvernement de l’Empereur de prendre un parti, de se décider, ou pour la politique de guerre, ou pour la politique de paix ; s’il voulait la guerre, qu’il se préparât à un grand effort contre une puissance qui développait tous les jours son organisation militaire. S’il voulait la paix, qu’il dissipât par une attitude franche et claire les défiances que ses desseins équivoques et obscurs entretenaient dans tous les esprits. « M. de Bismarck prépare de longue main, le couronnement de son œuvre. Je me suis permis de vous écrire qu’il se rendait un compte exact de l’erreur dans laquelle est tombé M. le comte de Cavour en réunissant prématurément les provinces napolitaines au royaume d’Italie ; il n’y touchera pas à son tour : avant de déchirer le traité de Prague, il attendra que le moment en soit parfaitement opportun et il décidera alors du mode qu’il lui conviendra de choisir. En prendra-t-il ouvertement l’initiative ou bien s’en remettra-t-il à celle du grand-duc de Bade ?