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qui se substituera bientôt au plan d’unification totale et immédiate proposé à l’enthousiasme de l’Allemagne.

« Revenant sur la conception qui vous a été exposée par M. de Goltz, l’ambassadeur de Prusse à Paris, tendant à fractionner en deux groupes les influences en Allemagne et à les soustraire également à la direction de l’Autriche, il a ajouté que les développements de cette combinaison devaient être poursuivis sans parti-pris, et qu’il gardait sa liberté d’action pour en régler l’emploi selon les circonstances. J’ai également représenté à M. de Bismarck qu’en accédant à la convocation d’un Parlement, la Diète ferait une concession qui peut-être ne serait pas moins un danger pour la Prusse que pour les autres États de la Confédération.

« Si, en effet, ai-je dit, le suffrage universel choisissait des hommes entreprenants, ils ne tarderaient pas à revendiquer les attributions d’une Assemblée constituante, et à franchir résolument les limites que vous auriez tracées à leurs pouvoirs.

« Le Parlement, m’a-t-il répondu, ne nous embarrasserait que s’il était médiocrement libéral : dans ce cas, il se renfermerait dans ses attributions et il s’arrêterait à des remaniements qui ne nous donneraient pas satisfaction et qu’il serait difficile cependant de décliner ; s’il était, au contraire, franchement conservateur ou révolutionnaire, nous serions, dans la première hypothèse, en situation d’en diriger les débats ; dans la seconde, en mesure d’intervenir pour en arrêter les écarts ; et, dès ce moment, la Confédération, telle qu’elle a été constituée en 1815, se trouverait dissoute par la force des choses, rien ne s’opposerait plus à notre dessein d’organiser dans le Nord de l’Allemagne, de concert avec les États compris dans notre sphère d’action, une association conforme à nos vœux ».

C’est évidemment cette deuxième hypothèse qui a la préférence de M. de Bismarck. Son but ultime est bien d’unifier toute l’Allemagne, celle du Sud comme celle du Nord, sous la direction de la Prusse ; c’est bien à toute l’Allemagne qu’il fait appel contre l’Autriche par l’annonce d’un Parlement national élu au suffrage universel. Mais il aimerait mieux ne procéder à cette unification qu’en deux étapes : et avant de créer une Confédération totale, créer d’abord une Confédération du Nord qui sera soumise à la forte discipline de la monarchie prussienne et qui étendra ensuite son action sur l’Allemagne du Sud. Ainsi, dans la formation et le fonctionnement de l’Allemagne unifiée, il n’y aura qu’un minimum de démocratie : la « Révolution » n’aura été qu’un ferment aussitôt neutralisé. L’historien officieux Sybel, qui ne peut avouer que le plan de M. de Bismarck était d’ajourner la complète unité allemande pour mieux assurer la domination prussienne, déclare que le dessein initial du ministre était de réaliser l’unité totale, mais que l’intervention menaçante de la France à Nikolsbourg l’a obligé à modifier sa tactique et à limiter provisoirement son effort. En réalité, l’ingérence française a servi le calcul d’autorité de