Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.

électives et malgré la résistance des Chambres seigneuriales et héréditaires, donneraient au Parlement mandat de reviser le pacte fédéral dans le sens de l’unité allemande, c’est-à-dire de créer un organe d’administration pour les grands intérêts communs de l’Allemagne. Et M. de Bismarck espérait bien que la Prusse, ayant pris l’initiative du mouvement et ayant seule la force militaire de le protéger contre toute menace extérieure, serait investie de cette autorité allemande.

Elle aurait à compter certainement avec un Parlement allemand permanent, car l’Assemblée de revision voudrait continuer l’action du peuple par des Assemblées périodiques élues comme elle au suffrage universel. Mais précisément, comme chaque État voudrait réserver pour lui-même une large part d’autonomie et de souveraineté, le Parlement national ne recevrait point des attributions si étendues qu’il devienne le principal agent de souveraineté allemande. Ainsi, M. de Bismarck comptait, pour transformer l’Allemagne au profit de l’Allemagne et au profit de la Prusse, sur la double force de l’unité grandissante et du fédéralisme subsistant. Il y aurait un degré d’unité qui ne permettrait pas à l’Autriche, puissance à demi-slave, de rester, par une partie de ses peuples, dans un organisme allemand trop défini et trop strict. Il y aurait un reste de particularisme qui ne permettrait pas à la souveraineté nationale de s’opposer, par un organe central vigoureux et dominant, à la force des monarchies, surtout à la force de la monarchie prussienne.

Le Parlement allemand serait un collaborateur puissant et efficace, mais subordonné à l’autorité de la Prusse monarchique et militaire. Malgré tout, c’était une partie hardie de constituer une Confédération générale de tous les États allemands, à l’exception de l’Autriche, et de lui donner une vaste représentation populaire. Quelles que fussent les précautions et les restrictions, ce Parlement tendrait à développer sa force, à étendre ses revendications et il serait peut-être malaisé à la Prusse de rester dans cette Allemagne totale l’élément dominant ; surtout les États du Sud, où la vie politique était plus intense et la pensée démocratique plus vigoureuse, s’efforceraient d’accroître solidairement leur influence et l’influence de la démocratie. Dès ce moment, M. de Bismarck songe à une tactique, qui lui permettrait, après avoir fait appel à toute l’unité allemande, de la limiter, de la resserrer dans une Confédération plus étroite, dans une Confédération du Nord, où l’action de la Prusse et de sa monarchie sera prépondérante. C’est seulement quand la Prusse aurait assimilé une partie de la vie allemande qu’elle procéderait, par une entente croissante avec les États du Sud, à une unité plus vaste, désormais prémunie contre une brusque invasion de démocratie. La lettre de M. Benedetti du 10 avril 1866 met en pleine lumière ces combinaisons, ces hypothèses variées, par lesquelles M. de Bismarck voulait concilier l’unité allemande et la primauté prussienne, l’intervention nécessaire de la nation et la prépondérance de la monarchie ; et dès lors commence à se dessiner le plan d’unification graduelle et d’abord restreinte