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afin de sauvegarder les prérogatives de la couronne, mais plus encore la libre action du ministre dans la diplomatie et dans la guerre. Je ne crois pas qu’il fût sincère, ou du moins qu’il le fût tout à fait lorsqu’il déclarait à M. Benedetti, au printemps de 1866 et à la veille du conflit avec l’Autriche, qu’il ne s’était prêté à la politique autoritaire du Roi à l’égard du Parlement que pour mieux gagner sa confiance et pour le décider plus aisément, dans la question allemande, à des démarches hardies. « J’ajoute, écrivait M. Benedetti, le 3 avril, que M. de Bismarck ne s’est prêté aux vues du Roi, dans toutes les questions de politique intérieure, que dans la pensée de consolider sa position ministérielle, et pour mieux contraindre son souverain à le suivre dans la voie où il a toujours pensé, depuis qu’il a touché aux affaires politiques, que la Prusse devait s’engager résolument si elle veut conquérir en Allemagne et en Europe la position qu’elle a de tout temps ambitionnée. Il a souvent rappelé l’obstination du Roi à revendiquer des prérogatives contestées par l’immense majorité de la Chambre : il s’en est toutefois constitué le défenseur passionné, dans la pensée qu’il y puiserait lui-même une force plus grande pour assurer le succès de sa politique extérieure avec ou sans l’assentiment volontaire de Sa Majesté :

« Je suis parvenu, me disait-il hier, à déterminer un roi de Prusse à rompre les relations intimes de sa Maison avec la Maison impériale d’Autriche, à conclure un traité d’alliance avec l’Italie révolutionnaire, à accepter éventuellement des arrangements avec la France impériale, à proposer à Francfort le remaniement du pacte fédéral avec le concours d’une Assemblée populaire. Je suis fier d’un pareil résultat, j’ignore s’il me sera permis d’en recueillir les fruits ; mais, si le Roi m’abandonne, j’aurai préparé le terrain en creusant un abîme entre l’Autriche et la Prusse, et le parti libéral, montant au pouvoir, achèvera la tâche que je m’étais imposée ».

Il y a là, comme si souvent dans les propos de M. de Bismarck, un mélange de vrai et de faux. Non, ce n’était pas seulement pour plaire au Roi et pour assurer sa situation ministérielle en vue d’une entreprise audacieuse qu’il avait soutenu passionnément les prérogatives de la Couronne et brisé les préventions parlementaires. Il voulait que la monarchie prussienne eut la maîtrise sur l’Allemagne constituée, et comment ne se serait-elle pas fondue dans le parlementarisme allemand si elle avait été déjà noyée à demi dans le parlementarisme prussien ? Rooz le pressant, en 1861, de venir prendre le pouvoir, lui disait : « Hâtez-vous, sinon nous serons bientôt enlisés dans le marais parlementaire ». Comment surtout, M. de Bismarck n’aurait-il pas réservé en face de tous les Parlements le droit supérieur de la monarchie et la liberté d’action du Roi, c’est-à-dire du ministre, quand il lui restait encore pour accomplir l’œuvre allemande à peine ébauchée, tant d’efforts à faire, tant de combinaisons à tenter, tant d’intrigues à ourdir, où l’initiative d’un pouvoir rapide et concentré lui semblait nécessaire ? Ce qui est vrai, c’est qu’il n’avait pas ou qu’il n’avait guère plus de préjugés « légitimistes » et qu’il défendait surtout