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dans la Prusse le guide et la libératrice de l’Allemagne entière, si la Prusse, au lieu de retenir pour elle les duchés et de ramener le conflit à une affaire prussienne, en avait fait vraiment une question allemande. Mais quels que soient les mécomptes, quelles que soient les colères, le besoin de participer à une vie allemande élargie est si fort qu’il suffira sans doute à la Prusse de donner quelque satisfaction à cet instinct pour ramener à elle les sympathies des États du Sud et du Centre. Les libéraux, les démocrates du Sud espèrent que M. de Bismarck sera vaincu dans sa lutte contre la majorité parlementaire du Landtag et que la Prusse, devenue une puissance de liberté et de démocratie, comprendra enfin son vrai rôle qui est de devenir l’initiatrice de la liberté allemande dans l’unité allemande. Ce penchant secret vers la Prusse est d’autant plus marqué que toute autre solution se dérobe, les États du Sud et du Centre étant incapables de s’organiser eux-mêmes et de créer un noyau fédéral auquel toute l’Allemagne prussienne et autrichienne s’agrégerait.

Aussi, quand s’annonce et éclate enfin, en 1866, le décisif conflit de la Prusse et de l’Autriche, grand est en Allemagne le trouble des esprits, grand est le flottement ; mais d’emblée il est permis de dire que chez beaucoup de ceux qui hésitent, chez beaucoup même de ceux qui prennent ou paraissent prendre parti contre la Prusse, il y a tout au fond de la conscience, une sorte de consentement éventuel et réservé à la victoire prussienne. Sans doute, les catholiques ultramontains ont plus de sympathie pour la catholique Autriche : mais une part même du catholicisme allemand va montrer tout à l’heure à propos de l’infaillibilité qu’il répugne à cette domination absolue de Rome dont le cléricalisme autrichien voudrait être l’organe. Sans doute, les dynasties ont peur d’être dévorées par la Prusse, et le régime plus lâche, plus flasque, que l’Autriche maintient, leur paraît plus favorable à leur autonomie. Comment imaginer, d’ailleurs, que la grandiose Autriche sera décidément vaincue par la Prusse, et comment celle-ci pourrait-elle, avec son armée de jeunes recrues, gagner cette difficile partie de rejeter définitivement l’Autriche hors de la Confédération ? Il est plus sage de ne pas se commettre contre la vieille puissance qui, sans doute, l’emportera.

À l’autre pôle des idées, il est des démocrates, surtout en Wurtemberg, qui croient que la démocratie ne pourra rayonner sur l’Allemagne que des foyers indépendants de l’Allemagne du Sud et que la Prusse bismarckienne, sous ses lourdes mottes de terre féodale, éteindra ce brasier. Mieux vaut attendre que sur cette braise, à demi protégée en un repli de la vieille Confédération, passe un souffle de révolution européenne. Oui, mais si la Prusse l’emporte, qui sait si elle n’organisera pas enfin cette unité allemande à laquelle les cœurs aspirent d’un mouvement toujours plus passionné ? L’Autriche ne le peut pas, car elle n’est pas une puissance purement allemande ; elle est à moitié slave ; elle a des intérêts et des pensées multiples hors de l’Allemagne ; elle ne peut donc organiser toute la vie allemande, car ce n’est pas trop pour cette œuvre de tout