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Mais même, si le mouvement de la population devait être plus rapide dans la nouvelle Allemagne que dans la vieille France, où était encore le danger ? Hélas ! même aujourd’hui, même après les désastres de 1870 et la mutilation de la patrie, la France est, dans toute la force du mot, une grande nation. Je veux dire par là, d’abord, que son action a une portée universelle ; qui peut douter de l’influence qu’exerce la démocratie française sur l’ensemble du monde ? La lutte soutenue par elle contre la puissance politique de l’Église, a retenti bien au-delà de ses frontières ; et le jour où la démocratie républicaine de France pourra évoluer en démocratie sociale, il y aura sans doute dans le monde un vaste ébranlement. La nation française, même blessée, est en état de défendre son indépendance.

Cela ne signifie pas qu’elle soit assurée de la victoire ou qu’elle puisse trouver dans son désespoir même la certitude du salut. Cela signifie qu’elle peut, si elle le veut, faire payer si cher à l’agresseur injuste la violence de son agression que les plus barbares où les plus haineux hésiteraient à l’attaquer. Cela veut dire encore qu’elle peut, par la loyauté de sa politique de paix et de modération, s’assurer des alliances ou des amitiés qui découragent les entreprises de la force. Et si la France vaincue, démembrée, qui s’est relevée mais qui est toujours dans l’ombre de la défaite, a pu cependant refaire sa vie et recommencer sa libre évolution vers la justice, qui donc aurait pu attaquer, qui donc aurait pu menacer une France visiblement résolue à respecter le droit de toutes les nations, et à faire respecter son propre droit par toutes les forces de sa prévoyance, de son courage et de son génie ? Politique de justice, politique de paix : et au service de la paix et du droit un formidable appareil de défense nationale : voilà qui valait mieux, pour garantir contre tout attentat et contre tout dédain la France encore intacte, que le systématique morcellement de la nation allemande, que l’odieuse rapine exercée sur la Belgique.

La démocratie française pouvait-elle, au nom du droit, refuser son assentiment à l’unité allemande réalisée par la Prusse ? Il est vrai que M. de Bismarck procédait par la force. C’est par la force qu’il avait arraché au Danemark les provinces allemandes, le Schleswig et le Holstein ; c’est par la force qu’il venait de rejeter l’Autriche hors de la Confédération allemande, d’agrandir la Prusse accrue du Hanovre, de la Hesse électorale, et de fonder la Confédération du Nord, prélude de l’unité allemande. Mais qui donc en France avait le droit de s’insurger, au nom du droit, contre ce recours à la force ? Je ne parle pas des partisans de l’Empire. C’est par la force qu’il avait « sauvé » la France. C’est par la force que, en 1859, il avait aidé à l’émancipation de l’Italie et c’est lui qui avait donné à la Prusse l’exemple du combat contre l’Autriche. Enfin au lendemain même de Sadowa, l’Empire se déclarait tout prêt à sanctionner les entreprises de la force prussienne si la Prusse lui jetait quelques lambeaux de territoire : que le chien morde le chien qui emporte toute la proie, que peut faire l’idée du droit en cette bagarre ? Mais ni la tradition nationale, ni la