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Mais la capitulation signée, la paix conclue, une Assemblée légale siégeant au nom du pays, il devenait impossible que les événements s’acheminassent vers de telles fins. La bourgeoisie devait fatalement, au contraire, se dérober et bientôt même s’opposer à la poussée révolutionnaire. Ainsi fut-il. La Commune du 18 mars se manifesta presque aussitôt comme un mouvement spécifiquement prolétaire : elle fut flairée et éventée comme telle par tous les prudents, tous les habiles, tous les nantis et le vide se fit automatiquement à ses côtés. Onze jours ne s’étaient pas écoulés que s’était déjà nouée contre elle, hors Paris et dans Paris, la coalition de tous les éléments bourgeois bénéficiaires du régime économique existant et qu’elle rencontrait, pour la vilipender, la déshonorer et la canonner, les républicains et les radicaux à la Louis Blanc, à la Clemenceau ou à la Brisson, aussi acharnés, aussi venimeux et aussi implacables que les pires et les plus authentiques réacteurs. Elle n’avait plus avec elle, pour la défendre comme pour l’administrer, que des prolétaires et quelques rares transfuges de la bourgeoisie, déclassés qui n’apportaient que leur personne.

Dans ces conditions, l’issue n’était pas douteuse. La classe qui s’était emparé du pouvoir et qui se trouvait du fait de la volonté de l’adversaire, beaucoup plutôt que de la sienne, jetée à la barre était inapte, en effet, à assumer la tâche que le destin moqueur lui imposait. Elle manquait presque totalement, même dans son élite et, à plus forte raison dans sa masse, des capacités indispensables. Elle pouvait fournir des combattants et des martyrs en nombre, non des administrateurs et des dirigeants ; son pauvre état-major était et s’accusa bien vite insuffisant quantitativement et qualitativement. Imaginez du reste, cette première difficulté dominée, ce premier obstacle tourné ou surmonté, qu’un autre, infranchissable celui-là, se fut dressé, aussitôt. Eut-elle compté dix Varlin et dix Frænckel au lieu d’un, que l’élite révolutionnaire se serait trouvée aussi impuissante à hausser à son niveau le gros du prolétariat parisien. Toutes les lois, tous les décrets étayés des considérants les plus orthodoxes et les plus rigides, toutes les mesures, même les plus radicales et les plus osées, n’y eussent rien fait. C’est qu’une Révolution, une Révolution sociale, moins que toute autre, ne s’improvise pas, ne se commande pas. Il y faut une longue, lente et appropriée préparation. Il faut que la classe qui en est le support et l’agent, soit en mesure de succéder, Une minorité audacieuse peut, c’est évident, se substituer dans le gouvernement à une autre minorité et quelquefois durer, en s’adaptant par transactions au milieu ambiant. Mais une classe ne se substitue à une autre, n’impose avec son idéal un statut social nouveau, que si elle a acquis les capacités requises pour assurer au mieux les fonctions vitales de la collectivité, pourvoir aux besoins essentiels de cette collectivité plus exactement et plus complètement que la classe qu’elle chasse, élimine ou résorbe.

Or, en ces jours de mars et de mai 1871, la classe ouvrière, assurément,