Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/506

Cette page a été validée par deux contributeurs.

devaient pas rendre leur proie ou rejetés du pays natal sur le chemin sans fin de l’exil. Pour trouver aussi fort, aussi monstrueux, il faut remonter jusqu’à Rome, jusqu’à la Médie et à l’Assyrie, aux prodigieuses tueries des Temps barbares où l’homme était un loup pour l’homme, le savait et le disait.

C’est, qu’aussi bien, ce n’était plus deux peuples ici qui se heurtaient, c’étaient deux classes aussi étrangères l’une à l’autre que les Assyriens et les Juifs, les Carthaginois et les Romains, aussi irréductiblement hostiles, les asservisseurs contre les asservis, les spoliateurs contre les spoliés, les maîtres contre les esclaves, et que s’il est un droit international et un droit des gens de chancellerie à chancellerie, de gouvernement à gouvernement, de nation à nation, il n’en est pas et n’en peut pas pour les classes qui se mesurent dans les frontières d’un même pays, et s’y disputent non pas un lambeau de province, mais le droit à la vie, à la jouissance des fruits du travail. Ici, il n’y a plus qu’une règle, qu’une loi, la loi du plus fort et malheur au plus faible.


QUELQUES CONSIDÉRATIONS


Il n’est rien de malaisé comme de juger un mouvement avorté. Les vaincus ont toujours tort même pour qui les aime, pour qui fraternise avec eux. Celui-là qui eut le plus souhaité leur victoire est tenté bien souvent de se montrer le plus sévère. C’est pourquoi, sans doute, la Commune a obtenu et obtient encore si peu d’indulgence de la part des intellectuels, même sympathisants, qui ont bien voulu s’occuper d’elle. La Commune n’a trouvé grâce, en somme, adhésion franche et entière, qu’auprès du prolétariat qui, négligeant le détail et l’accidentel, par conséquent les faiblesses, les incapacités et les tares individuelles, ne s’est souvenu que de la barricade dont il projette l’image sur l’écran du passé comme celle de l’épisode le plus héroïque jusqu’ici et le plus notoire de sa lutte séculaire contre les détenteurs du Capital et du Pouvoir. Vision simplifiée, peut-être, et qui ne tient compte ni des oppositions, ni des nuances ! Mais, à tout prendre, ne serait-ce cependant pas la plus juste et même la seule juste ?

C’est vrai, — on l’a dit, nous l’avons dit aussi — et essayé de le montrer, — la Commune fut un mouvement étrangement mêlé et confus à ses origines et traversé dans son orageuse carrière de courants multiples et divergents. C’est vrai, des patriotes, et nombreux, s’y égarèrent au début et, comme Rossel, crurent que par elle, avec elle, on pouvait galvaniser la France exsangue et moribonde et la jeter sur le Prussien. Rêve extravagant, imagination folle, mais qui hanta, il est certain, bien des cervelles. C’est vrai aussi : les républicains, tous les républicains de la capitale se rallièrent un instant expressément ou tacitement au gouvernement insurrectionnel, parce qu’ils discernaient en lui une garantie à l’égard des complots ourdis à l’Assemblée nationale et dans le pays par les revenants de la réaction contre le régime issu de la Révolution