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remboursé, les signataires des trois autres quarts n’ayant plus donné signe de vie et demeurant introuvables.

Mais Versailles avait moins de souci encore de Paris à terre que de Paris debout. Peu lui importait les lamentations et les plaintes de la capitale, émanassent-elles même de son patronat. La ville entière devait payer pour la Révolution qu’elle avait faite ou laissé faire. Thiers, narquois, offrait aux fabricants de meubles du Faubourg Saint-Antoine, ses lignards et ses artilleurs pour remplacer leurs ouvriers et, pour scander cette réponse, les conseils de guerre multipliaient les exécutions et les condamnations.

Vingt-six de ces machines à meurtres fonctionnaient maintenant à Versailles. Paris, Vincennes, Saint-Cloud, Rueil, au Mont-Valérien, Sèvres, Saint-Germain, Rambouillet et Chartres, les autres au siège des principales grandes subdivisions militaires. À la douzaine, on y dépêchait les prévenus, conduits au tribunal les menottes aux mains, beaucoup même dépourvus d’un défenseur d’office, chargés à outrance par de faux témoins, policiers, mouchards que les juges encourageaient du geste et de la voix, abandonnés par les témoins à décharge qui n’osaient venir, se présenter, dans la crainte d’être eux-mêmes arrêtés. Accusation, interrogatoire, sentence, le tout ne prenait pas dix minutes.

270 condamnations capitales dont 8 atteignaient des femmes furent ainsi rendues. Furent condamnés aux travaux forcés à temps et à vie 410 inculpés dont 29 femmes, à la déportation dans une enceinte fortifiée 3.989 dont 20 femmes, à la déportation simple 3.507 dont 16 femmes et 1 enfant, à la détention 1.629 dont 8 femmes, à la réclusion 64 dont 10 femmes, aux travaux publics 29. Furent frappés d’une peine d’emprisonnement de plus d’un an 1.344 prévenus dont 15 femmes et 4 enfants, d’une peine d’emprisonnement de trois mois à un an 1.622 dont 50 femmes et 1 enfant, d’un emprisonnement d’une durée inférieure à trois mois 432. Le bannissement fut prononcé contre 322 accusés, et 117 enfin, dont une femme, se virent placés sous la surveillance de la haute police. Voilà le lugubre bilan tel que l’établit au 1er janvier 1875, le garde des sceaux de la troisième République, Mac-Mahon régnant. Encore convient-il de faire remarquer que cette récapitulation victorieuse ne tient pas compte des condamnations prononcées consécutivement aux événements de province.

Et rien ne vint contrarier l’exécution de ces milliers de sentences infâmes. La célèbre Commission des grâces nommée le 17 juin par l’Assemblée nationale, à la demande de Thiers, qui se déchargeait hypocritement sur elle du soin de distiller au compte-goutte la clémence bourgeoise, ne prononça pas cinquante commutations de peine. Aussi la conscience publique l’a-t-elle flétrie du nom mérité de Commission d’assassins. Le 28 novembre, elle laissait fusiller ou pour mieux dire elle fusillait Rossel, Ferré et le sergent Bourgeois conduits menottes aux mains au plateau de Satory et dont le froid courage fit pâlir les