Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/499

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Merlin. — Tout cela ne répond pas aux actes pour lesquels vous êtes ici.

Ferré. — Cela signifie que j’accepte le sort qui m’est fait.

Une condamnation à mort répondit à ces nobles et fières paroles. Lullier, mais pour la forme seulement — il devait être grâcié aussitôt — fut frappé de la même peine. Les autres, sauf Decamps et Parent acquittés et Courbet et Victor Clément que l’on tint quittes avec trois et six mois d’emprisonnement, furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité et à la déportation.

Cependant les 30.000 cadavres que son armée lui avait faits, non plus que les 45.000 prisonniers qui agonisaient sur ses pontons et dans ses geôles ne suffisaient pas encore à la réaction pour éteindre la soif de sang et de répression qui la brûlait. Elle entendait, en effet, que pas un des vaincus ne lui échappât et la pensée seule que quelques-uns d’entre eux, la frontière franchie, pussent trouver un refuge sur une terre hospitalière empoisonnait son triomphe et sa joie.

Dès le 26 mai, Jules Favre, s’inspirant de ces sentiments implacables, avait adressé à tous les agents de la France à l’extérieur une circulaire, véritable monument d’infamie. Il y disait : « L’œuvre abominable des scélérats qui succombent sous l’héroïque effort de notre armée ne peut être confondu avec un acte politique. Elle constitue une série de forfaits prévus et punis par les lois de tous les peuples civilisés. L’assassinat, le vol, l’incendie systématiquement ordonnés, préparés avec une infernale habileté ne doivent permettre à leurs complices d’autre refuge que celui de l’expiation légale. Aucune nation ne peut les couvrir d’immunité, et, sur le sol de toutes, leur présence serait une honte et un péril. Si donc vous apprenez qu’un individu compromis dans l’attentat de Paris a franchi la frontière de la nation près de laquelle vous êtes accrédité, je vous invite à solliciter des autorités locales son arrestation immédiate et à m’en donner de suite avis pour que je régularise cette situation par une demande d’extradition ». Depuis il avait multiplié les démarches officielles et officieuses auprès des chancelleries pour aboutir à ses fins. Si plate, après la défaite, devant les monarchies européennes, si accommodante, la France bourgeoise se faisait avec lui à cette occasion, raide, hautaine et presque provocante. Âprement, impérieusement, elle réclamait les fugitifs au nom du droit international et de la morale universelle.

L’Espagne et la Belgique seules s’étaient abaissées pourtant à écouter de prime abord ces honteuses propositions. D’Angleterre, Gladstone, président du Conseil, avait répondu « que son gouvernement aurait à examiner jusqu’à quel point et dans quelle mesure les personnes réclamées par les autorités françaises pourraient être considérées comme des accusés politiques ». Ce qui, dans les formes protocolaires, était, avec le refus, la leçon donnée aux dirigeants républicains descendus au-dessous des bandits de Brumaire et de Décembre. La fin de non-recevoir du gouvernement britannique décida de la suite. Les unes après les autres la plupart des puissances, même la Belgique,