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d’une injure personnelle, de les avoir flétris aux jours de Sedan et de Metz comme des lâches et des capitulards qu’ils étaient, et de leur avoir ensuite montré par l’exemple, au cours d’un siège héroïque de cinq mois, ce que peuvent et doivent faire devant l’ennemi des gens de courage et d’honneur. Ce sont là choses qui ne s’oublient pas, quand on se nomme Mac-Mahon, Cissey, Vinoy, ou plus simplement Galliffet, Laveaucoupet ou Garcin. Aussi la saignée sera belle, la plus belle du genre. Armée et bourgeoisie vont se saouler de sang et ne s’arrêteront que lorsque le fade liquide menacera de les étouffer, quand les morts se vengeant par delà le trépas risqueront de porter la peste dans le camp des vainqueurs.

Nous n’entrerons pas dans le détail du massacre. D’autres l’ont fait qui ont dû y consacrer des pages et des pages sans arriver à épuiser le sujet. Il suffira de dire que 2.500 fédérés hommes ou femmes environ avaient été tués derrière les barricades, alors qu’après le combat on en immola le décuple au moins. Mac-Mahon a avoué 14.000 cadavres ; l’édilité parisienne a donné des permis d’inhumer pour 17.000 et combien furent enfouis sans autre forme de procès au pied du mur où les balles venaient de les coucher, combien incinérés dans les casemates des fortifications ; combien fusillés sur la route de Versailles et à Versailles et sur place enterrés ?

Quelques chiffres. À la Roquette, du dimanche 28 au lundi matin 29, la répression fit 1.907 victimes, d’après la relation d’un témoin miraculeusement échappé pour son compte et qui avec cinquante autres camarades requis chargea les morts sur les tapissières après l’exécution. 400 furent passés par les armes à la prison de Mazas selon l’attestation de Dumas, adjoint de l’Ordre à la mairie du XIIe qui, sans procéder à la moindre contestation d’identité, laissa jeter les cadavres dans un puits du cimetière de Bercy. Mêmes tueries à l’École Militaire, au Parc Monceau, à la rue des Rosiers, commencées dès le mardi 23 et poursuivies inlassablement, à l’École Polytechnique, aux gares du Nord et de l’Est, à la caserne Dupleix, au Jardin des Plantes, à la mairie du Panthéon et en vingt autres endroits. Chaque chef de corps, après avoir soumis et occupé un quartier, laissait sur ses derrières deux ou trois officiers auxquels s’adjoignaient immédiatement quelques volontaires de la garde nationale et voilà une cour martiale constituée qui sur l’heure entrait en fonctions.

De ces tribunaux, deux surtout ont marqué dans les fastes du crime, celui du Luxembourg et celui du Châtelet. Au premier, opérait Garcin. C’est là que Millière comparut le jeudi, Tony Moilin le dimanche, Ulysse Parent, aussi et avec eux plusieurs autres milliers d’inculpés dont très peu échappèrent au peloton. Dans la salle de spectacle du Châtelet, avec le titre de prévôt trônait le colonel de la garde nationale, Vabre, d’exécrable mémoire. La tuerie à laquelle il présida dépassa toutes autres. Les bourreaux ont reconnu eux-mêmes avoir rendu là plus de trois mille sentences de mort. Les inculpés défilaient à la file devant le tribunal ; l’interrogatoire pour chaque durait un quart de minute à