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il l’a ratifiée par un plébiscite, consacrée par toute une série d’élections serviles, il est responsable des actes de ce maître ou de l’entourage auquel ce maître lui-même est livré. D’ailleurs, si la France bonapartiste avait été avertie de ce marché, éblouie sans doute par une fausse image de grandeur, elle n’aurait protesté qu’à demi. Malgré tout le secret des chancelleries, ces négociations avaient percé et plusieurs orateurs y firent allusion dans le grand débat de mars 1867 et la majorité du Corps législatif marqua par son attitude qu’elle n’entendait pas désavouer la politique d’annexion.

Quand M. Émile Ollivier la combattit, quand il déclara : « Pas plus que les provinces rhénanes, la Belgique ne veut en ce moment devenir française », il fut accueilli par ces « mouvements divers », où se marque la désapprobation confuse d’une assemblée. Et contre M. Jules Favre se déchaîna un orage : comme il disait : « Quant à un agrandissement politique, la France le repousse. »

— Parlez pour vous, lui cria M. de Cassagnac. Et la Chambre ne se solidarisa point avec Jules Favre.

Il poursuivit : — La France le repousse parce que toutes les annexions portent en elles l’hostilité de la patrie mère à laquelle ces annexions sont arrachées, parce qu’à l’heure où nous sommes, avec les grandes conquêtes du génie humain, quand c’est la force morale qui conserve les empires, quand la vapeur et le télégraphe règnent sur le monde… (Interruptions prolongées.)

Cassagnac : — C’est la théorie de la poltronnerie que vous exposez là.

— Si on proposait au cabinet ces annexions, les repousserait-il ? Déclarerait-il que la Belgique ne sera jamais envahie ? Que l’État du Luxembourg ne sera jamais menacé et que nous devons rester dans les limites de nos frontières. (Bruyantes interruptions.)

Cassagnac : — C’est une honte. C’est l’ignominie de l’abdication ».

Hélas ! la responsabilité morale de la France est engagée dans cette politique de violence sauvage ; et si le traité proposé le 15 août à la Prusse avait pu aboutir, le coup de force et de traîtrise commis contre la Belgique aurait été acclamé. Mais quelle ineptie de penser que la Prusse allait s’exposer à la guerre avec le peuple anglais pour assurer à la France la possession de la Belgique ! Il est vrai que la France donnait congé à la Prusse de franchir la ligne du Mein et d’envelopper les États du Sud dans l’unité fédérative de l’Allemagne. Mais la Prusse savait bien qu’un jour ou l’autre, servie par la force des choses qui allait à l’unité allemande, elle pourrait organiser toute l’Allemagne sous sa direction. Pourquoi aurait-elle compromis dans une aventure ce résultat certain ? Des sollicitations de la France elle ne retint qu’une chose : c’est que celle-ci ne se consolait pas de la croissance de la Prusse et de la formation de l’Allemagne et que sa jalousie exaltée cherchait partout des compensations. Triste ferment de guerre prochaine.

Mais la politique de l’Empire était aussi inconstante qu’immorale. Ce pouvoir fort était le plus faible des pouvoirs, sans cesse divisé contre lui-