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Villette qui brûlent avec leur entassement de matières inflammables, d’huiles minérales, d’essences, de pétroles. On crut à Versailles, ce soir là, que Paris entier flambait. Veillée d’armes lugubre et désespérée. Les hauteurs du XIXe et du XXe sont devenues le camp de refuge de tous les braves qui veulent combattre encore avant de mourir. Les débris des bataillons campent en pleine rue, sur le sol détrempé. Le jour se lève sale et gris, La situation est celle-ci : les fédérés, massés principalement sur les buttes de Belleville et du Père-Lachaise, occupent un demi-cercle dont les deux extrémités s’appuient aux remparts, vers les portes de la Villette et de Bagnolet et dont la corde flottante suit le canal de la Villette à la Bastille pour se perdre dans le méandre des rues à la droite du faubourg Saint-Antoine et du quartier de Charonne entamé dés la veille.

Les Versaillais ont déjà repris leur marche en avant. Dès 9 heures du matin, Vinoy est maître de toutes les défenses de la place du Trône et prend à revers le boulevard Voltaire, Douay remonte le faubourg du Temple qui résiste avec fureur, Clinchant, le boulevard du Prince-Eugène. Ne pouvant la forcer de front, celui-ci tourne par la Bastille, la formidable barricade du boulevard Richard-Lenoir. Le cercle s’est rétréci encore. Les Communeux sont définitivement acculés aux Buttes-Chaumont et au Père-Lachaise où continue à tonner leur artillerie. Officiellement, un certain Hyppolyte Parent a pris la succession de Delescluze, mais dans le fait, c’est Ranvier avec Passedouet qui commandent ; ils sont l’âme de cette résistance suprême. À la rue Haxo, on trouve encore une quinzaine de membres de la Commune : Jourde, Vaillant, Varlin, Vallès.

Cependant l’épilogue du grand drame se prépare. Cent obus par minute éclatent sur Belleville ; tous ceux des habitants qui ne combattent pas se sont réfugiés aux caves. Les trois quarts de l’armée de l’ordre, cent mille hommes sont là pour en finir d’un coup, écraser la poignée de héros qui préfèrent périr que renoncer. Les deux ailes de l’armée sont sur le point de se rejoindre. À 8 heures du soir, Vinoy enlève le Père-Lachaise : on s’y bat jusque dans les caveaux et les tombes, Ladmirault continuant malgré les ténèbres son mouvement enveloppant, s’empare de l’abattoir de la Villette, franchit le canal et arrive aux pieds des Buttes Chaumont, dont les canons sont enfin réduits au silence, faute de munitions. À l’arme blanche, il tente l’escalade et après six heures de combat il en déloge les derniers fédérés.

Il est 4 heures. Le jour qui se lève trempé de pluie en cette matinée du dimanche, 20 mai, va voir les ultimes soubresauts de la Révolution, terrassée et piétinée. On se bat dans le haut de la rue d’Angoulême et au faubourg du Temple, Gambon, J.-B. Clément, Varlin, Ferré, Géresme se dépensent encore aux barricades. Mais la fusillade se fait plus rare, intermittente. Les cartouches manquent avant les hommes. À 2 heures, rue Ramponneau, le dernier coup de fusil est tiré. C’est fini. La Révolution est morte.