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à former réserve lors de la grande attaque de droite contre le cœur même de la résistance. Quant au centre de l’armée rencontrant de front les barricades, il lui fallait, de son côté, mesurer sa marche sur les progrès latéraux des ailes, qui, cheminant en avance des corps intermédiaires, coupaient, isolaient et prenaient à revers le massif entier des barricades. Ainsi toutes les opérations se soutenaient, poussant l’insurrection devant leur concours combiné et convergeant dans un commun et dernier effort contre le dernier foyer de la résistance[1] ».

En conséquence, l’armée se formait en cinq colonnes : la première, celle du général de Cissey opérant à gauche et ayant pour objectif le Panthéon et la barrière d’Italie ; au centre, sur la Seine, deux colonnes commandées par Vinoy et Douay ; à droite, deux autres colonnes sous les ordres de Clinchant et de Ladmirault plus particulièrement dirigées contre Montmartre. Ces colonnes devaient suivre chacune l’une des grandes courbes décrites par les boulevards extérieurs sur les deux rives, par les grands boulevards intérieurs et par la rue de Rivoli avec ses prolonges des faubourgs.

La chasse au Parisien, on le voit, était réglée comme une battue aux tirés de Marly ou de Rambouillet. Les précautions les plus minutieuses avaient été prises pour qu’aucun gibier, poil ou plume n’échappât. Restait à inscrire les pièces au tableau. À la fin de la semaine il y en aura plus de cinquante mille. Thiers, le maître veneur, savourait déjà l’avant-goût de ce hallali monstrueux. À la séance de l’Assemblée nationale de ce jour, il disait, aux hurlements frénétiques de la droite, aux applaudissements plus écœurants de la gauche : « À la résistance que nous rencontrons, nous pensons que bientôt Paris sera rendu à son vrai souverain, c’est-à-dire à la France. Nous sommes d’honnêtes gens ; c’est par les voies ordinaires que justice sera faite. Nous n’aurons recours qu’à la loi ; mais la loi sera appliquée dans toute sa rigueur. C’est par la loi qu’il faut frapper les misérables qui ont détruit les propriétés privées, et, faisant ce qu’aucun peuple sauvage n’avait fait, ont renversé les monuments de la nation. L’expiation sera complète ; elle aura lieu au nom des lois, par les lois, avec les lois ».

Cependant la circonspection versaillaise avait produit l’effet escompté. Elle amenait dans la journée du lundi et dans la nuit qui suivit, les fédérés des faubourgs à redescendre vers le centre, vers cet Hôtel de Ville qui, dans la tempête, apparaissait encore comme le phare de la Révolution. Brunel, de nouveau pourvu d’un commandement, avait pris la direction de la défense aux barricades de la place de la Concorde. Il établira là, trois solides redoutes : à la terrasse des Tuileries, à l’entrée de la rue Saint-Florentin et au débouché de la rue Royale où il supportera pendant plus de cinquante heures, avec une constance intrépide, l’assaut de toute une armée et ne se retirera que la position

  1. Louis Juzierski. — La bataille des sept jours, p. 14 et 15.