Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/461

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lutte dispersée, alors qu’une lutte centralisée et concertée était possible et qui sait ? pouvait encore tout remettre en question.

La Commune réunie dans la matinée souscrivait de son côté à cette tactique imbécile, décidant que ses membres se rendraient dans leurs arrondissements respectifs pour y activer la construction des barricades et la mise en défense des quartiers. Ce faisant, elle se dissolvait elle-même, ruinait le dernier centre de ralliement où la Révolution combattante aurait pu trouver conseil et soutien. Le Comité de Salut public, dont tous les membres, sauf Billioray qui s’était enfui la nuit et qui ne reparut pas, restaient sur la brèche, s’abandonnaient au même courant, se bornant à crier comme Delescluze : « Aux armes et aux barricades ! » sans donner d’autre mot d’ordre ni prescrire d’autres dispositions.

Durant cette journée de lundi, l’armée versaillaise stationnée, il est vrai, dans les quartiers aristocratiques de l’Ouest, ne rencontra qu’une médiocre résistance ; mais la résistance n’eut guère été plus vive à quelques kilomètres de là pour les raisons que nous venons de mentionner. Il est avéré que si ce jour les cinq divisions déjà entrées avaient poussé droit devant elles, elles eussent gagné presque sans encombre le cœur de la Cité, enlevé ou tourné les barricades à peine ébauchées qui sortaient de terre et acculé immédiatement la Révolution à ses réduits de Montmartre, de Belleville et de la Butte aux Cailles. Des généraux plus humains ou moins couards que les autres le conseillaient, paraît-il, Clinchant notamment ; mais ce n’est pas ce que Thiers entendait, une victoire remportée de la sorte n’eut pas été, en effet, une victoire sanglante. Surtout elle n’eut pas autorisé le massacre, la boucherie qui était dans le programme de la réaction enfin triomphante, qui était même tout son programme. Il fallait, au contraire, laisser aux communeux le temps de se reconnaître, d’organiser leur défense quartier par quartier, afin qu’il y eut lutte partout ou semblant de lutte, et partout abondante saignée de l’habitant, du Parisien combattant ou non combattant. C’est en conformité de ce dessein hideux que Thiers commanda, autant qu’il le put, l’arme au pied et que les troupes ne s’aventurèrent pas plus loin, dans leur marche ralentie, que les premières pentes de Montmartre et le Palais de l’Industrie sur la rive droite, la gare de Montparnasse sur la rive gauche.

Ces vingt-quatre heures furent données à l’élaboration définitive du plan ou plus exactement de la battue. Un des confidents de Thiers, Louis Jezierski, du journal le Temps s’en explique ainsi : « La Seine décrit dans Paris un arc de cercle ; sur chaque versant s’étend la ville, en forme de circonférence. Mais la rive gauche est bien moins étendue que la rive droite ; de plus, le versant de la rive gauche est d’une altitude inférieure. Ainsi, à première vue, les manœuvres d’attaque devaient suivre parallèlement les crêtes de chaque côté de la Seine ; mais l’attaque de gauche se heurtant à des obstacles moins ardus et ayant à parcourir un périmètre moins étendu, devait marcher plus vite de façon