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recouvre tous ces bruits de sa grande voix sinistre. L’heure de la guerre des rues est revenue. Le Parisien y est de longue date entraîné. Le dernier mot n’est pas dit peut-être, malgré le désarroi premier, inévitable, causé par la brusquerie de l’attaque.

Mais où donc se dirigent tous ces gardes nationaux en armes, résolus et prêts à faire quand même à la Révolution un bouclier de leurs poitrines ? Au front, apparemment, vers les quartiers envahis et occupés, à la place Wagram, au Palais de l’Industrie, à la gare de Montparnasse, à la rencontre des bandes de Versailles ? Point. Chacun a hâte de rompre une solidarité qu’il a toujours, du reste, impatiemment supportée et de rejoindre son quartier, sa rue, son carrefour pour y aller construire la barricade de pavés qui en barrera l’accès, sans plus se préoccuper des alentours et surtout de l’ensemble du champ de bataille. En vain, des officiers plus clairvoyants supplient, adjurent ces insensés de garder leur rang, de se maintenir groupés et d’aller faire face en masse à l’assaillant là où il se trouve, où il menace. Ces adjurations sont impuissantes à enrayer la débandade universelle, la dislocation générale.

À cette dislocation préside le délégué à la Guerre en personne, Delescluze. Il fait mieux que d’y présider ; il la sanctionne ; il l’ordonne. C’est lui qui proclame le salut dans la désorganisation par l’appel fameux où il s’écrie : « Assez de militarisme plus d’états-majors galonnés et dorés sur toutes les coutures ! Place au peuple, aux combattants aux bras nus ! L’heure de la guerre révolutionnaire a sonné. Le peuple ne connaît rien aux manœuvres savantes : mais quand il a un fusil sous la main, du pavé sous les pieds, il ne craint pas les stratégistes de l’école monarchique. Aux armes ! citoyens, aux armes !… Si vous voulez que le sang généreux qui a coulé comme de l’eau depuis six semaines ne soit pas infécond…, vous vous lèverez comme un seul homme, et devant votre formidable résistance, l’ennemi qui se flatte de vous remettre au joug en sera pour la honte des crimes inutiles dont il s’est souillé depuis deux mois… La Commune compte sur vous, comptez sur la Commune ! »

C’était la faute suprême, irréparable. D’un trait de plume Delescluze abolissait ce qui restait d’ordre, de cohésion chez les soldats de la Révolution. Il proscrivait tout plan d’ensemble en même temps que toute discipline. Ce jacobin glorifiait et imposait la méthode fédéraliste, si l’on peut dire, là où son application devait être plus que nuisible, mortelle. Le soin de la défense était abandonné par lui à l’initiative, à la spontanéité, à l’inspiration des groupes et des individus isolés. Aucune direction supérieure pour coordonner, régler les efforts. Il en va résulter fatalement qu’au lieu d’une résistance systématisée et militairement conduite qui, à coup sûr, aurait tenu longtemps l’adversaire en échec et lui aurait certainement infligé des pertes considérables, il n’y aura que des engagements partiels et inefficaces où les insurgés, par petits paquets, se feront hacher et écraser successivement dans un corps à corps inégal et désespéré. La Commune finira ainsi, comme Juin, par une