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marche en avant. Sans résistance, il prenait possession de la porte de Saint-Cloud et des deux bastions voisins. Cependant le général Douay averti par télégraphe, accourait à son tour avec des forces plus considérables, s’emparait de l’espace compris entre les fortifications et le viaduc et faisait ouvrir la porte d’Auteuil, après un combat assez vif. En même temps, de fortes colonnes d’infanterie, longeant le viaduc du Point-du-Jour, se portaient en hâte de la porte de Saint-Cloud vers les portes du sud et les ouvraient aux troupes de la division Cissey. Si bien qu’à la tombée du jour, le dimanche 21, quatre corps, ceux des généraux Douay, de Cissey, de Ladmirault et Vinoy avaient déjà pénétré dans la place. La concentration des forces versaillaises était suffisante pour autoriser une marche générale en avant.

Les fédérés, surpris et tournés, n’avaient opposé presque aucune résistance. Les jours précédents, on avait beaucoup parlé d’une seconde ligne de fortifications volantes à établir, formant place d’armes, dans le triangle du Trocadéro, de la place d’Eylau, de l’Arc-de-Triomphe et de la place Wagram. Si des travaux sérieux eussent été exécutés conformément à ce plan, l’envahisseur était certainement arrêté et devait recommencer un siège à nouveaux frais. Malheureusement rien n’avait été fait ou peu de chose. La ville s’ouvrait, béante et désarmée, aux capitulards et aux vaincus de Metz et de Sedan, qui allaient se venger sur elle de leurs humiliations et de leur honte.

Certes, en ce beau dimanche de Mai, Paris populaire et révolutionnaire ne se doutait guère que ses derniers jours étaient venus. L’après-midi, il y avait eu fête au Jardin des Tuileries, concert monstre au bénéfice des orphelins et des veuves de la Commune où Agar, de la Comédie-Française et Bordas, la chanteuse aimée avaient fait pleurer et vibrer la foule. À l’issue, un officier d’état-major montant sur l’estrade avait dit : « Citoyens, M. Thiers avait promis d’entrer hier dans Paris ; M. Thiers n’est pas entré ; il n’entrera pas. Je vous convie pour dimanche prochain, ici, à la même place, à notre grand concert au profit des veuves et des orphelins ». La nuit tombée, la vie comme de coutume ruisselait aux boulevards ; les théâtres regorgeaient de spectateurs.

À l’Hôtel de Ville, la Commune siégeait ; elle jugeait Cluseret ; majorité et minorité étaient là. Vallès présidait et Miot requérait examinant dans le détail le rôle de l’accusé aux États-Unis et en Irlande. À 7 heures, elle ignorait tout encore quand arriva Billioray. Il interrompt l’orateur, Vermorel, à ce moment, demande la formation du Comité secret et lit le télégramme qu’il vient de recevoir à la permanence du Comité de Salut public : « Dombrowski à Guerre et Comité de Salut public. Les Versaillais sont entrés par la porte de Saint-Cloud. Je prends des dispositions pour les repousser. Si vous pouvez m’envoyer des renforts, je réponds de tout ». Les renforts sont envoyés, ajoute Billioray ; le Comité de Salut public veille. Ce fut tout et la discussion reprit sur les hauts faits et sur les méfaits de Cluseret aux États-Unis et en Irlande. À 8 heures, Vallès levait la séance, comme si aucun événement extraordinaire ne se fut passé.