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ainsi l’autorité de la Ligue à celle de l’Assemblée nationale. Le devoir du gouvernement est d’user des pouvoirs que lui confère la loi. On peut être assuré qu’il n’y faillira pas. Il trahirait l’Assemblée, la France et la civilisation s’il laissait se constituer à côté du pouvoir régulier, issu du suffrage universel les assises du Communisme et de la rébellion. »

Cette offensive brutale faisait reculer encore un coup les conciliateurs. Le Congrès des municipalités n’eut pas lieu ; il se changea en une Assemblée de citoyens notables qui se tint à Lyon le 15 mai et où assistaient les délégués de seize départements du Sud, du Sud-Est et du Centre. Réunion sans autorité puisque les délégués n’y représentaient plus guère qu’eux-mêmes et que les républicains de l’Assemblée nationale, les propres élus de Paris en tête, qu’ils avaient adjuré vainement de les joindre, les désavouaient hautement.

Ainsi Versailles conservait les mains libres de par l’abdication de la gauche parlementaire surtout et Thiers avait toute licence pour consommer son œuvre de répression et de carnage.

Quant à Paris, il ne lui restait plus qu’à se préparer à la mort. Non toutefois sans avoir accompli encore un de ces actes qui révèlent le sens profond de la Révolution du 18 Mars et demeurent comme autant d’étapes glorieuses de la route suivie par le prolétariat parisien, avant-garde du prolétariat international en ces jours qui anticipaient sur l’avenir.

Le 16 mai, la Commune jetait bas, aux applaudissements d’une foule immense, l’homme de bronze de la Place Vendôme, le Napoléon d’Austerlitz et d’Iéna, de Wagram et d’Eylau qui, pendant quinze ans, avait passé, en les broyant, sur le ventre des nations. La colonne orgueilleuse tombait et se brisait en morceaux sous les yeux d’une part de l’armée française commandée par les généraux bonapartistes qui assiégeait Paris, d’autre part des armées prussiennes qui, deux mois auparavant, avaient investi et pris ce même Paris. On a bassement accusé la Commune à ce propos d’avoir cédé volontairement ou involontairement à des suggestions bismarckiennes et allemandes. Cette vilenie ne mérite même pas d’être relevée. En réalité la Commune, interprète de la conscience universelle, ne distinguait pas entre vainqueurs de l’avant-veille et vainqueurs de la veille, entre conquérants nationaux et asservisseurs étrangers ; elles les confondait les uns et les autres dans la même réprobation et la même exécration, couchant la gloire de Guillaume avec celle de Bonaparte, comme toute gloire militaire, sur le même lit de fumier. Si l’on doute de ses sentiments, il suffira de relire la page que le Journal officiel consacrait le lendemain à cette grandiose et symbolique manifestation et que voici :

« Le décret de la Commune de Paris qui ordonnait la démolition de la colonne Vendôme a été exécuté hier, aux acclamations d’une foule compacte, assistant, sérieuse et réfléchie, à la chute d’un monument odieux élevé à la fausse gloire d’un monstre d’ambition.

« La date du 26 floréal sera glorieuse dans l’histoire, car elle consacre