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et de Clichy était abandonnée. Les canons de Montmartre, sur lesquels on avait compté, mal pointés, par impéritie ou à dessein, décimaient les milices parisiennes au lieu de porter leurs ravages dans les rangs de l’assiégeant. Au Bois de Boulogne, les forces versaillaises, la Seine franchie sur un pont de bateaux, s’établissaient solidement à l’abri des fourrés, creusaient des cheminements et ouvraient une parallèle, en arrière des lacs, courant jusqu’à la hauteur de la porte de la Muette.

La situation se tendait donc de plus en plus. La veille, critique, elle devenait désespérée.

À la Commune, on n’en continuait pas moins à s’entredéchirer. Le conflit avait revêtu un caractère d’acuité extrême. La majorité poursuivait de sa sotte et épaisse rancune la minorité, délogeait Vermorel de la Commission de sûreté générale, Longuet de l’Officiel, où il était remplacé par Vésinier, substituait à la Commission de la Guerre, à Avrial, Tridon, Varlin, Johannard, des brouillons incapables. La minorité froissée de ces évictions, et plus encore de l’ostracisme général que la majorité faisait peser sur elle, se laissait aller de son côté à ses nerfs. Elle avait résolu de faire entendre, à la séance du 15, sa protestation motivée ; mais la majorité, en s’abstenant, comme elle en prenait l’habitude, d’assister à la séance, ne le lui avait pas permis. Rééditant la faute de Rossel, la minorité avait alors décidé de porter directement la cause devant le public. Le 16, les journaux paraissaient publiant un document dans lequel était dénoncée l’abdication de la Commune entre les mains d’une dictature dénommée de Salut public, que la minorité déclarait ne pouvoir ni accepter ni reconnaître. « Dévoués à notre grande cause communale, pour laquelle tant de citoyens mouraient tous les jours, disait le document, nous nous retirons dans nos arrondissements trop négligés peut être. Convaincus d’ailleurs que la question de la guerre prime en ce moment toutes les autres, le temps que nos fonctions municipales nous laisseront, nous irons le passer au milieu de nos frères de la garde nationale et nous prendrons notre part de cette lutte décisive soutenue au nom des droits du peuple ». Suivaient vingt-deux signatures : Beslay, Jourde, Theisz, Lefrançais, Eug. Gérardin, Vermorel, Clémence, Andrieu, Serraillier, Longuet, Arthur Arnould, V. Clément, Avrial, Ostyn, Frænckel, Pindy, Arnold, Jules Vallès, Tridon, Varlin, Courbet et Malon.

C’était la rupture avouée, irrévocable, malgré les précautions de forme. Ce refus de siéger équivalait à une scission. Mais c’était pis encore : la Commune blessée dans son organisme directeur par ceux mêmes qui savaient bien que l’ennemi, et l’ennemi seul, profiterait de l’expression rendue publique de leur colère et de leur opposition et qu’ils couraient le risque, s’ils étaient écoutés, de couper en deux Paris ouvrier et révolutionnaire à la veille de l’assaut décisif auquel s’apprêtait Versailles.