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également à l’impuissance les demi-fous comme Lullier ou les aventuriers comme du Bisson et Ganier d’Abin qui méditaient de sauver la Révolution en la confisquant à leur profit avec le concours et l’argent de Versailles. Par contre, il ne saura et ne pourra vaincre cette autre conspiration éminemment plus dangereuse qui, multiforme et diffuse, avait son siège aux salles de rédaction de tous les journaux bourgeois, aux tables de tous les cafés des boulevards et incessamment créait autour de la Commune une atmosphère de suspicion et de désaffection. Les mesures visant les feuilles qui insultaient chaque jour les bataillons fédérés ou dénaturaient les délibérations de l’Hôtel de Ville n’y feront rien ; non plus le décret du 15 mai qui astreignait les citoyens à être porteurs d’une carte d’identité (carte civique) qui leur devait être délivrée par le Commissaire de police de leur quartier en présence et sur l’attestation de deux témoins. Les feuilles anti-communeuses supprimées iront s’établir à Versailles, d’où elles expédieront quotidiennement à Paris leur papier noirci des mêmes attaques fielleuses ou furibondes. La carte civique deviendra matière à brocards et à chansons et nul ne s’en pourvoiera. Pour rendre ces mesures et décrets exécutables, il eut fallu au Comité de Salut public un pouvoir de coercition à lui conféré par la volonté résolue et agissante de l’ensemble des éléments révolutionnaires, pouvoir dont la Commune n’avait jamais disposé et dont elle disposait moins encore en cette période angoissante et trouble, où tous, amis comme ennemis, sentaient venir la fin.

Le désordre et l’incurie, qui sont partout désormais, atteignent leur maximum au ministère de la guerre, où Delescluze vient de pénétrer. Le vieux jacobin apporte avec lui son stoïcisme, son dévouement et sa foi ; mais cela ne lui servira à rien qu’à bien mourir. Les compétences techniques lui manquent autant qu’à personne, la santé aussi, la vigueur juvénile qui permet de défier les fatigues et d’entraîner les autres à les affronter avec soi. Pour galvaniser le restant de forces militaires que la Commune possède, et prendre les dispositions en vue du combat suprême, il n’est pas l’homme. Il a à lutter incessamment contre les empiétements du Comité central redevenu arrogant comme aux premiers jours ; et à l’État-Major peuplé des anciens caudataires de Cluseret ou des anciens camarades de Rossel, aucun ne le seconde. Impuissant, il assiste aux progrès méthodiques de l’armée versaillaise qui de plus en plus se rapproche des remparts, qui y touche presque en maint endroit. Le 13, le fort de Vanves est tourné. Durant la nuit, la garnison l’évacue, s’enfuyant par des souterrains qui communiquent avec des carrières ouvrant sur la route de Châtillon. Le 14, au matin, les soldats de l’ordre hissaient leur pavillon sur le fort en ruines et le réarmaient du côté de Paris. En ce même jour néfaste du 13, la flottille qui appuyait énergiquement de ses démonstrations sur le fleuve les mouvements des fédérés, essuie un gros échec ; une de ses unités, l’Estoc, est coulée bas et la flottille toute entière est obligée de reculer jusqu’en aval du pont de la Concorde. À l’Ouest, aussi, Dombrowski perdait du terrain. Une partie de Levallois