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sion de la Guerre : Arnold, Avrial, Johannard, Tridon et Varlin, se rendit pour cet office au ministère. Le vieux Jacobin n’était pas sans tendresse pour le jeune délégué. Apres un long entretien, il le laissa libre sur parole et le commit à la garde de ses collègues Avrial et Johannard.

Le lendemain, Rossel arrivait à l’Hôtel de Ville, flanqué de ses deux gardes du corps, à l’heure où la Commune réunie lui substituait Delescluze, nommé par 42 voix sur 46, et remplaçait ce dernier au Comité de Salut public par Billioray. Proposition fut faite d’introduire le prévenu en séance, mais 26 voix contre 16 s’y opposèrent, et il fut décidé qu’il serait, sur le champ, écroué à Mazas. À Mazas ! Le prisonnier, à l’instant où la Commune statuait ainsi sur son sort, avait déjà pris la clef des champs. Profitant d’une absence momentanée d’Avrial, à qui il venait du reste de « jurer sur son honneur de soldat de ne pas s’évader » et resté seul avec son ami, Charles Gérardin, il avait cédé aux sollicitations de celui-ci, quitté la questure, sauté dans une voiture et disparu.

On n’entendra plus parler de lui que quelques semaines après, quand les mouchards de Versailles le découvriront dans sa retraite et le traîneront en prison. Il passera alors, après une douloureuse captivité, devant les tribunaux de répression de la réaction triomphante et paiera très noblement de sa vie sa participation à une révolution à laquelle, au fond, malgré le rôle de premier plan, qu’il y joua, il ne s’était mêlé que par erreur, en homme d’ailleurs, allant ailleurs. Véritable délirant patriotique, il ne saisit rien du mouvement où il s’était jeté en dégoût des généraux traîtres et lâches qui avaient mené la France au démembrement et à la ruine et dans l’espoir que la guerre contre l’envahisseur allait reprendre avec et par Paris rebellé et que de cette guerre il pouvait être le Bonaparte. À l’épreuve seulement, il comprit qu’il avait rêvé ; il se heurta, dans ses desseins d’instauration d’un pouvoir militaire, à plus fort que lui, parce que seuls étaient vivants dans la Commune ceux qui étaient communeux et il abdiqua, en plein combat, fuyant et reniant un milieu et une action où il s’était découvert à lui-même étranger.

La chute de Rossel nous a conduits au 10 mai. À cette date, la Commune n’a plus que dix jours de vie. C’est l’agonie qui commence.

Le second Comité de Salut public, mieux composé que le premier — Pyat n’en est pas et c’est beaucoup — sera aussi inexistant et incapable. Vient une heure, en effet, où tout effort est par avance frappé de stérilité. Le Comité déjouera sans doute certains des complots formels tramés contre la Commune ; il arrêtera plusieurs des coupables, appréhendera notamment les auteurs de la conspiration des brassards tricolores qui manœuvraient du reste presque à ciel ouvert, s’assurera de l’espion Vaysset[1] et de quelques autres. Il réduira

  1. Celui-ci avait pour mission de débaucher Dombrowski moyennant finances. La fin héroïque de l’officier polonais prouve surabondamment que Versailles avait compté sans son hôte. Quant à Vaysset, tombé entre les mains de la Commune, il fut exécuté sur le terre-plein du Pont-Neuf, au cours de la semaine sanglante.