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pas » et tourne bride. Il rentre alors au ministère de la guerre où on lui apprend l’évacuation du fort d’Issy. Il prend sa plume, trace les deux lignes suivantes : « Le drapeau tricolore flotte sur le fort d’Issy abandonné hier par la garnison ». Et, sans même en référer à la Commune ou au Comité de Salut public, il ordonne l’immédiat affichage de cet étrange libellé à dix mille exemplaires. Puis il écrit encore, cette fois sa démission, acte d’accusation contre la Commune, le Comité de Salut public, le Comité central, le Comité d’artillerie, la garde nationale, contre tout, sauf contre lui.

« Citoyens, membres de la Commune, disait-il, chargé par vous à titre provisoire de la délégation de la Guerre, je me sens incapable de porter plus longtemps la responsabilité d’un commandement où tout le monde délibère et où personne n’obéit. Lorsqu’il a fallu organiser l’artillerie, le Comité central d’artillerie a délibéré et n’a rien prescrit… La Commune a délibéré et n’a rien résolu… Le Comité central délibère et n’a pas su encore agir… Pendant ce temps, l’ennemi enveloppait le fort d’Issy d’attaques aventureuses et imprudentes dont je le punirais si j’avais la moindre force militaire disponible. » Rossel racontait ici l’évacuation du fort, puis il indiquait que le matin, à la place de la Concorde, au lieu des douze mille hommes qui lui avaient été promis, il n’en avait trouvé que sept mille et il proclamait : « Ainsi la nullité du Comité d’artillerie empêchait l’organisation de l’artillerie ; les incertitudes du Comité central de la Fédération arrêtent l’administration ; les préoccupations mesquines des chefs de légion paralysent la mobilisation des troupes… Mon prédécesseur a eu tort de se débattre au milieu de cette situation absurde. Éclairé par son exemple, sachant que la force d’un révolutionnaire ne consiste que dans la netteté de la situation, j’ai deux lignes à choisir : briser l’obstacle qui entrave mon action ou me retirer. Je ne briserai pas l’obstacle, car l’obstacle c’est vous et votre faiblesse ; je ne veux pas attenter à la souveraineté publique. Je me retire et j’ai l’honneur de vous demander une cellule à Mazas. »

À qui allait-il envoyer maintenant ce réquisitoire ? À la Commune ? Non. Il l’envoya à la presse, mettant Paris, mettant Versailles, mettant l’ennemi dans la confidence de ses rancœurs et dans le secret de la faiblesse de l’insurrection.

La Commune réagit sous l’outrage. Pyat triomphait : « Je vous l’avais bien dit, s’exclamait-il, que c’était un traître, mais vous n’avez pas voulu me croire. Vous êtes jeunes, vous n’avez pas su, comme nos maîtres de la Convention, vous défier du pouvoir militaire. » À l’unanimité, moins deux voix, celles de Malon et de Gérardin, l’arrestation de Rossel fut décidée, et la Commission de la Guerre chargée d’exécuter le décret. La Commune procéda ensuite à la réélection de son Comité de Salut public qui sombrait, par la même occasion, dans la tourmente. La minorité prit part, cette fois, au scrutin ; mais tous ses candidats furent évincés. La majorité fit passer sa liste entière, composée d’Arnaud, Delescluze, Eudes, Gambon et Ranvier.

Restait à arrêter Rossel. Delescluze, avec les autres membres de la Commis-