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Paris ». En donnant de la sorte du « cher et dévoué camarade » à l’un des exécuteurs des basses œuvres versaillaises, le nouveau délégué montrait bien qu’il n’entendait rien à cette guerre dont il venait d’assumer la direction, et qu’il était complètement étranger aux passions comme à l’idéal de ce peuple de Paris qu’il avait mission de conduire. Voit-on Émile Duval, Eudes ou même Cluseret écrivant de cette encre ?

La pensée unique, la pensée maîtresse de Rossel fut, en effet, de faire de l’armée communeuse, une armée de tous points semblable à l’autre, à l’armée de métier qu’il avait connue, dont il avait été, dont il était encore par toutes ses attaches et par sa mentalité. À l’organisation municipale de la garde nationale par bataillons et légions élisant directement ses chefs, il voulut substituer une organisation par régiments dont il aurait personnellement nommé les colonels. Dans ce dessein, il demandait, le 1er mai, à ses généraux de choisir chacun parmi leurs troupes cinq bataillons vigoureux d’un effectif de trois ou quatre cents hommes qu’il se proposait de doter aussitôt d’un canon ou d’une mitrailleuse, en échange de leurs drapeaux ou fanions de quartier. Ces bataillons devaient être amalgamés ensuite en régiments de deux mille hommes chaque, soit huit régiments qui auraient formé ensemble un petit corps d’armée mobile de seize mille hommes. Avec cette armée, Rossel comptait, dans un délai très bref, livrer bataille sous Paris.

Comme il était fatal, le délégué à la Guerre se heurta dans sa tentative à la résistance instinctive de la garde nationale elle-même, qui sentait bien que la conception nouvelle niait radicalement l’esprit qui avait présidé à sa fondation et fait d’elle une milice, non pas une armée. Il se heurta à la résistance consciente et voulue du Comité central de la garde nationale, toujours en lutte pour reconquérir son influence passée, et qui n’entendait pas plus abdiquer entre ses mains qu’entre celles de Cluseret. Il se heurta aussi à l’opposition du Comité de Salut public, lequel appréhendait une dictature militaire et soupçonnait véhémentement le jeune colonel de rêver à son profit quelque contrefaçon du 18 Brumaire. On savait qu’à ce coup d’audace plusieurs agités le poussaient, et il paraît bien qu’il ne lui eut pas déplu personnellement de jouer les Bonaparte. Mais il était d’âme trop irrésolue, malgré son masque et ses attitudes, pour pousser ferme dans une voie si aventureuse.

Les événements, du reste, le desservirent, et il n’en pouvait être autrement. Sous les remparts, les échecs succédaient aux échecs. Pressés sur tout le front, les fédérés reculaient partout, partout perdaient du terrain. Dans la nuit du 1er au 2 mai, les Versaillais avaient enlevé à l’arme blanche la gare de Clamart et, après un sanglant combat, occupé également le château d’Issy. Deux cent cinquante gardes nationaux étaient restés sur le carreau ; quatre cents avaient été faits prisonniers. Le 3, dans la soirée, le 55e et le 120e bataillons étaient surpris au Moulin-Saquet, en avant de Villejuif, par une colonne de la division Lacretelle. Ce fut une boucherie. Les fédérés dormaient sous la tente. Livrés