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l’Hôtel de Ville qui le poussaient, de Malon et de Charles Gérardin notamment et aussi de Delescluze. La Commission exécutive le convoqua dans la soirée du 30. Il vint et exposa ses idées. Jourde lui dit : « Mais, si l’on vous mettait à la place de Cluseret, que feriez-vous ? » Beau parleur, éloquent même, l’interpellé développa son plan, dit les ressources immenses susceptibles encore d’utilisation, Paris imprenable, la Révolution invincible. La cause était entendue ; ceux qui pouvaient être hostiles se turent.

Rossel était du reste une valeur. Nul doute que s’il eut détenu le pouvoir un mois auparavant, il n’eut systématiquement et efficacement organisé la défense et armé la Commune sinon pour une offensive victorieuse, du moins pour une résistance prolongée qui aurait peut-être lassé l’assaillant. Ce n’était pas cependant que le jeune officier n’eut ses faiblesses et ses tares. Lui aussi se sentait de ses origines. Il venait en ligne droite de l’armée régulière qu’il avait quittée à l’annonce des événements du 18 Mars afin de gagner la capitale, prenant dans sa fièvre patriotique l’insurrection prolétaire parisienne, si étrangement mêlée et complexe, pour un pur soulèvement national, une reprise de la guerre contre l’étranger. Capitaine du génie, à Metz, sous Bazaine, évadé des prisons d’Allemagne, fait colonel par Gambetta et commandant du camp de Nevers, c’était bien et ce n’était qu’un soldat, au sens étroit du mot, tout imbu des préjugés de son métier et de sa caste. Comme Cluseret, autant que Cluseret, il croyait qu’une armée doit être, sous le commandement de son chef, un outil qui ne raisonne pas et se satisfait d’agir, sans comprendre. Il ne soupçonnait pas que cette volonté et cette faculté de comprendre peuvent seules donnera des troupes révolutionnaires l’élan avec l’enthousiasme. Partant, il était foncièrement incapable de diriger une force pensante, inapte à établir entre ses subordonnés et lui la communion d’esprit qui vaut mieux que toutes les disciplines, parce qu’elle suscite tous les dévouements, provoque toutes les initiatives et crée la confiance réciproque, mère de la victoire. Ajoutez qu’il était par tempérament cassant et naturellement hautain et distant.

Au début des hostilités, lors de la poussée première, ces défauts auraient pu encore se dissimuler. Aux jours où nous sommes parvenus, ils devaient se manifester crûment, sur le champ, et un divorce en résulter, brutal, entre le chef et ses soldats.

Son tout premier acte fut une maladresse qui le peignit au vif. Le major de tranchée versaillais, devant le fort d’Issy, ayant envoyé au commandant de ce fort une sommation où il était dit que, faute de ne pas répondre dans un délai d’un quart d’heure, toute la garnison serait passée par les armes, Rossel répliquait par la missive suivante : « Au citoyen Leperche, major des tranchées devant le fort d’Issy. Mon cher camarade, la prochaine fois que vous vous permettrez de nous envoyer une sommation aussi insolente que votre lettre autographe d’hier, je ferai fusiller votre parlementaire, conformément aux usages de la guerre. Voire dévoué camarade, Rossel, délégué, de la Commune de