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lors nettement. Les plus étourdis comme les plus obtus se demandaient à quel prix et comment conjurer le péril, éviter le gouffre qui semblait aspirer leur frêle esquif. Qui les préserverait ? Qui les sauverait ? Un pouvoir, un pouvoir fort, sans doute, une dictature qui briserait toutes les résistances, s’asservirait toutes les énergies, referait en 1871 le miracle révolutionnaire de 1793. C’est de cet état d’esprit que naquit le Comité de Salut public.

Nous avons dit de la seconde Commission exécutive, constituée le 20 avril, qu’elle ne fut pas un gouvernement et qu’elle ne pouvait pas l’être en raison même de son fonctionnement. En réalité, la Commune n’avait eu qu’un gouvernement : sa Commission exécutive première, qu’elle avait brisée, ou pour mieux dire, que les circonstances avaient brisée. Les membres de la seconde Commission étaient des chefs de services ; ils n’étaient à aucun titre des dirigeants, maîtres de se concerter et d’agir sous leur responsabilité pour des fins générales. L’anarchie spontanée à peine un instant combattue, sinon dominée, n’avait donc fait que croître et s’étendre à l’ombre de ce pouvoir qui n’en était pas un. À ce moment, elle couvrait tout, pénétrait tout. Pour n’avoir pas voulu d’organisme permanent de coordination et de contrôle, la Commune avait perdu toute prise sur les groupements et sur les individus qui luttaient, ou étaient censé lutter, pour la cause de la Révolution. Une refonte totale du système s’imposait donc, un renforcement ou plutôt une restauration de l’autorité centrale qui, enrayant le désordre montant et la confusion grandissante, communiquât à la résistance une impulsion d’ensemble. La poursuite de cette refonte, de cette restauration était légitime autant que salutaire.

Par malheur, il était trop tard, admettant que la chose eut été jamais possible, pour remédier aux vices de la situation. Ce que la Commune n’avait pu accomplir à son aurore, au lendemain de sa victoire et de la fuite de l’ennemi, elle ne pouvait espérer le réaliser à son déclin, alors que la réaction reprenant l’avantage l’enserrait dans Paris et la tenait sous le feu de ses canons tonnant à pleines gueules. Et puis les mots n’ont jamais évoqué les choses, si ce n’est dans les contes de fées. La Commune avait beau se remémorer à elle-même les souvenirs héroïques de l’autre siècle et de l’autre Révolution, ces réminiscences ne pouvaient aboutir qu’à autant d’anachronismes intempestifs qui, au lieu d’imprimer au mouvement une poussée nouvelle, allaient en altérer le sens, en compromettre le caractère et détruire le restant de vitalité qui subsistait en lui.

Il semble bien, du reste, que la Commune ait compris à ce moment qu’elle s’engageait dans une impasse et ne possédait même plus le ressort suffisant pour faire jaillir de sa propre substance cette dictature suprême, aux pieds de laquelle elle aurait ensuite abdiqué pour la recherche du salut commun. Cela se marque à ses hésitations qui l’amenèrent à consacrer trois séances à une délibération qui aurait dû, si l’institution réclamée par Miot avait répondu pleinement et exactement à des nécessités de tous senties, ne durer qu’un quart