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ces pauvretés, jurer à leur corps électoral, dans un document où Jocrisse collabore avec Tartuffe, que tout le monde à Versailles, ou presque, est républicain.

« Nous adressant donc à la population parisienne, nous lui dirons qu’après tout la République existe de fait, qu’elle compte dans l’Assemblée des défenseurs énergiques et vigilants ; que pas un membre de la majorité n’a encore mis ouvertement en question le principe républicain ». Et sur ces belles assurances ils convient leurs concitoyens à déposer les armes. Quant à nous, ajoutaient-ils, et c’est ce qu’il convient de retenir surtout de ce honteux factum, « nous resterons au poste que les suffrages de nos concitoyens nous ont assigné, quelque tragique que soit la position que les circonstances nous ont faite. Jusqu’à l’épuisement de nos forces, nous y resterons. Que si la République courait des dangers ce serait pour nous une raison de plus de la défendre là où elle aurait le plus besoin d’être défendue et où ce serait avec les seules armes vraiment efficaces : la discussion libre et la raison.[1]. »

Après cet aveu dépouillé d’artifice, la Contre-Révolution n’avait pas à se gêner. Elle était couverte et le chef de l’Exécutif pouvait à son aise saouler de mensonge et d’alcool l’armée qui ferait des électeurs de Louis Blanc et consorts des cadavres marqués pour l’enfouissement ou des forçats à évacuer sur les bagnes de La Nouvelle.

Pour tout potage — faut-il donc s’en étonner maintenant — les conciliateurs de la Ligue Républicaine obtiendront un jour, le 25 avril, une suspension d’armes de seize heures qui permettra aux habitants de la malheureuse ville de Neuilly de quitter les caves où ils s’étaient réfugiés depuis des semaines pour échapper au bombardement et de gagner, selon que le cœur leur disait, Paris ou Versailles.

Les loges franc-maçonniques, qui s’étaient aussi mises à l’œuvre en vue d’une transaction à l’amiable entre les belligérants, aboutiront à moins encore. Les représentants des loges avaient essayé également de pénétrer jusqu’à Thiers et de le fléchir ; mais ils s’attribuaient une influence et un crédit dont ils ne disposaient guère. Le chef de la réaction versaillaise le leur apprit à leurs dépens : il les reçut entre deux portes et ne leur répondit que par des menaces. On était alors à la fin d’avril ; le temps des atermoiements et des précautions oratoires était passé ; l’armée de l’ordre était prête pour l’assaut et pour le massacre. « Mais que voulez-vous faire ? » s’était écriée la députation maçonnique. — « Défendre l’Assemblée envers et contre tous, avait répliqué Thiers, et pour cela nous trouerons des maisons et tuerons des hommes jusqu’à ce que le droit reste à la force ».

  1. Ce document, paru en date du 8 avril, est signé : Les représentants de Paris, présents à Versailles : Louis Blanc, Henri Brisson, Edmond Adam, C. Tirard, E. Farcy, A. Peyrat, Edgar Quinet, Langlois, Dorian.