Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/424

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ces citations, ces signatures traduisent les sentiments et les tendances qui dominaient alors auprès de la bourgeoisie aisée et éclairée. Celle-ci ne répugnait pas encore à pencher théoriquement du côté de la Commune, en tant du moins que cette dernière symbolisait les idées d’attachement à la forme républicaine et de défense des libertés municipales ; mais cette inclinaison était toute platonique : on sentait bien qu’elle ne commanderait aucun acte concordant. La bourgeoisie demeurait prête à affirmer, comme la Commune, la nécessité du maintien du régime républicain et de l’instauration de larges franchises municipales ; mais elle était bien résolue à ne pas se joindre au prolétariat pour collaborer à une action de force quelconque. C’est à la bonne volonté versaillaise qu’elle s’en remettait. Elle en appelait de Thiers mal informé à Thiers mieux informé. Lâcheté, sans nul doute, mais calcul aussi. Une chose en effet, bien qu’il n’y paraisse pas, dans ses déclarations, l’inquiétait, le troublait et lui faisait appréhender davantage le succès de la Commune que sa défaite, à savoir l’arrière-fond socialiste qui s’entrevoyait et se devinait dans le mouvement qui emportait Paris ouvrier. Aux meilleurs des républicains bourgeois, les nouveaux occupants de l’Hôtel de Ville, ces travailleurs, ces adeptes de l’Internationale ou du Blanquisme, brusquement surgis au premier plan, ne disaient rien qui vaille, car ils personnifiaient trop manifestement les conceptions et les intérêts d’une autre classe déjà rebelle, hier, sous l’Empire à leur tutelle, et qui tendrait de plus en plus à s’affirmer distincte et antagoniste. Réaliser avec l’agrément de Versailles et contre la Commune certaines des idées de la Commune, c’est à ce niveau, pas plus, que se haussaient en conséquence la bonne volonté et la ferveur démocratique des plus décidés et des plus fermes parmi les conciliateurs.

Une intervention ainsi conditionnée était d’avance vouée à l’insuccès. Les forces de droite, en effet, toutes puissantes, à l’Assemblée nationale, n’éprouvaient aucun besoin de composer et pactiser avec la Révolution ; elles aimaient mieux vaincre en ayant en main les moyens certains. Pourquoi se seraient-elles prêtées à des transactions qui auraient altéré le sens de leur victoire et les auraient amené à en partager les fruits avec un parti qui n’était rien encore et qu’il y avait tout lieu de maintenir dans cet état d’infériorité ? Quant à Thiers qui n’admettait pour son compte la République que conservatrice, c’est-à-dire dominée par les hommes et les procédés de gouvernement des anciens régimes, il était moins disposé que personne à prendre au sérieux les négociateurs et leurs négociations, et le leur fit bien voir dès la première occasion.

Le 8 avril, il recevait les délégués de l’Union Nationale des Chambres syndicales, Rault, Levallois, Marestaing, Lhuillier, Jules Amigues, introduits par le fidèle Barthélémy Saint-Hilaire. Ces délégués étaient allés, auparavant, présenter leur camelotte fédéraliste et autonomiste au rabais, à MM. les représentants des groupes de droite et des groupes de gauche de l’Assemblée