Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/420

Cette page a été validée par deux contributeurs.

preuves en main, déclare que la Commune, à son agonie, n’a fait qu’exécuter la sentence rendue par Thiers lui-même et par Versailles. Elle met au compte de la réaction les quatre-vingt-quatorze cadavres d’otages tombés à la Roquette et au jardin de la rue Haxo et les additionne avec les 30.000 Parisiens et Parisiennes assassinés d’autre part sous couleur de venger les premiers.


LES CONCILIATEURS


Ainsi que nous l’avons déjà noté, l’échec des bataillons fédérés aux 3 et 4 avril avait modifié à nouveau et profondément les dispositions de la classe moyenne parisienne à l’égard de la Commune. Après avoir oscillé pendant les dernières semaines de mars entre l’abstention et le ralliement au gouvernement insurrectionnel, les éléments bourgeois du commerce, de l’industrie, des professions libérales, avaient incliné un moment à la dernière solution, et nous les avons même vu venir conseiller à la Commune la marche sur Versailles, en vue du débloquement de la capitale. La victoire les aurait sans doute retenus sous le drapeau révolutionnaire ; mais c’est la défaite qui s’était présentée ; et du coup les sentiments de prudence reprenant le dessus, la Commune était devenue, ou redevenue, pour tout ce qui n’était pas dans Paris nettement et franchement prolétaire, sinon l’ennemie, du moins l’étrangère avec qui l’on garde ses distances.

À dater de ces jours, la désaffection bourgeoise va s’accuser grandissante sans cesse. Elle se marque par les démissions des derniers représentants des quartiers du Centre qui siégeaient encore à l’Assemblée communale, les gambettistes Ranc et Ulysse Parent le 5 avril, Goupil quelques jours plus tard. Elle se marque encore par le changement de ton de la grande presse républicaine : du Temps d’abord, de l’Avenir national, de la Vérité, du Siècle, du Rappel même, qui abandonnent progressivement leur attitude de réserve impartiale et presque sympathique, pour appuyer les visées et les démarches d’un tiers-parti, de nouveau éclos, le parti des conciliateurs, en attendant qu’ils se joignent, certains du moins, au chœur des journaux de réaction qui de Versailles vilipendent et salissent le peuple révolté.

Les conciliateurs, il s’en trouve partout et en tout temps. Dès le 18 mars, au soir, il en était poussé à Paris à tous les carrefours, dans les cabinets de toutes les mairies et les salles de toutes les rédactions. Ces conciliateurs nous les avons déjà regardé opérer. Nombre d’entre eux certes, étaient portés des meilleures intentions du monde, mais leurs tentatives pieuses n’aboutirent en somme qu’à empêtrer la marche du Comité central et à paralyser la révolution à son aurore. Ce sont les mêmes, ou à peu près, moins les inspirés directs de Thiers, comme Tirard ou Méline, qui reparaissent en ce mois d’avril. Leur plan n’a pas varié. Il consiste à obtenir à l’amiable, de Versailles, la reconnaissance formelle de la République et des franchises communales