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quatre heures. C’est à cette lettre que Lagarde répondit par le billet suivant écrit au crayon sur un chiffon de papier : « M. Thiers me retient toujours ici et je ne puis qu’attendre ses ordres, comme je l’ai plusieurs fois écrit à Monseigneur. Aussitôt que j’aurais du nouveau je m’empresserai d’écrire. »

Les intentions du fuyard devenaient transparentes. L’archevêque en tomba d’accord avec Flotte, et fit tenir au Lagarde, par l’intermédiaire de M. Washburne, ministre des États-Unis, la sommation que voici : « Au reçu de cette lettre, et en quelque état que se trouve la négociation dont il a été chargé, M. Lagarde voudra bien reprendre immédiatement le chemin de Paris et rentrer à Mazas. On ne comprend guère que dix jours ne suffisent pas à un gouvernement pour savoir s’il veut accepter ou non l’échange proposé. Ce retard nous compromet gravement et peut avoir les plus fâcheux résultats ».

Le grand vicaire ne répondit rien à cette mise en demeure. En guise d’excuse, il a avancé, plus tard, qu’il n’était pas de sa dignité de rapporter sous enveloppe cachetée à son archevêque la réponse à une lettre qu’il avait communiquée ouverte.

Le nonce Chigi et le ministre Washburne reprirent en sous-main les négociations qui avaient ainsi échoué. L’archevêque Darboy envoya de son côté directement un mémorandum à Thiers pour lui démontrer qu’il pouvait mettre sans aucun danger Blanqui en liberté. Bonjean, le président, écrivait aussi au fourbe qui tenait en main ses destinées et beaucoup plus tard à la date du 12 mai, le curé Deguerry se livrait également à une manifestation épistolaire « profitant de l’occasion, disait-il, pour se rappeler au souvenir de Mme Thiers et de Mlle Dosne ». Rien n’y fit. Ces démarches nouvelles n’eurent pas meilleur résultat que les premières tentées sous l’inspiration immédiate de Rigault. La résistance de Thiers était immuable. Non seulement il ne voulait pas lâcher Blanqui et paraître, ne fut-ce que sur une question d’à côté, composer avec des « insurgés » et leur reconnaître de la sorte la qualité de belligérants qu’il leur déniait expressément, mais il avait besoin pour son scénario de massacre et de crime de quelques soutanes noires ou violettes trouées par des balles fédérées. Peut-être n’eut-il pas poussé l’archevêque et ses compagnons dans le traquenard ; mais puisqu’ils y étaient, il ne les en tirerait pas. Les « otages » deviendraient de par sa volonté les martyrs glorieux de la cause de l’ordre et légitimeraient aux yeux de la France bourgeoise et du monde toutes les représailles, dussent-elles se traduire par l’égorgement d’un peuple.

La longanimité de la Commune faillit mettre cependant l’astucieux calculateur en défaut. Ce ne fut qu’à la dernière minute que les derniers défenseurs de la cause révolutionnaire s’avisèrent de penser sérieusement qu’il leur était licite de rendre œil pour œil et dent pour dent, en appliquant un décret jusque là resté lettre morte.

Si nous avons narré ici avec quelques détails ces négociations, c’est afin d’établir et de montrer les responsabilités de chacun. L’histoire impartiale,