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collaborateurs et les membres de la Commune qui, en dehors de la Commission, tels Tridon et Vaillant, sentaient profondément la nécessité d’associer intimement le prolétariat à la bataille engagée en le convainquant que l’enjeu était bien l’émancipation prolétaire elle-même.

Le programme officiel de la Commission, lu à trente-cinq ans d’intervalle, apparaît étrangement pâle et presque quelconque, C’est un programme d’étude et de préparation, nullement un programme d’action et de réalisations. Il prévoit des examens et des enquêtes ; il n’apporte pas de solutions ; à peine comporte-t-il quelques indications très vagues sur les relations à introduire entre capital et travail. « La Commission, dit ce programme, a pour objet spécial l’étude de toutes les réformes à introduire, soit dans les services publics de la Commune, soit dans les rapports des travailleurs — hommes et femmes — avec les patrons… Elle a encore mission de procéder à une enquête générale sur le travail et l’échange afin d’établir une statistique… La Commission a le devoir absolu de faciliter aux intéressés tous les moyens de grouper les éléments à l’aide desquels se pourront préparer les projets de décrets, etc… »

Les actes de la Commission furent marqués au même coin d’une réserve qui semble plus que prudente, excessive, et les rares décrets à allure socialiste, comme celui relatif à la reprise des ateliers abandonnés ou à l’interdiction du travail de nuit dans les boulangeries, reçurent à peine un commencement d’exécution. Les critiques ont donc eu ici très beau jeu. Mais la question reste de savoir si les circonstances permettaient une autre attitude en présence d’un prolétariat qui n’était pas encore suffisamment conscient dans sa généralité pour soutenir, et au besoin entraîner ses porte-parole, et d’une petite bourgeoisie inquiète, effarée, qu’un coup de barre trop vigoureux du gouvernement révolutionnaire eut à coup sûr rejetée dans le camp de la réaction. C’est cette situation particulièrement trouble et confuse — cela ne fait pas doute — qui paralysa en grande partie la délégation du Travail et de l’Échange et fit que les réalisations ne furent pas à la hauteur des intentions. C’est pour ces raisons que la Commission qui aurait dû le mieux traduire les aspirations profondes du mouvement n’a rien laissé, en somme, qui autorise l’ignorant ou le doctrinaire à dire : la Commune fut socialiste ; à preuve, tel décret, tels considérants, telles affirmations, où je retrouve les formules et les aphorismes familiers.

En réalité, Frænkel fut, comme les meilleurs de la Commune, prisonnier du milieu et des conjonctures. Il eut huit semaines devant lui, et quelles semaines ? pour une tâche qui exigeait des mois et des ans, et les apparences du pouvoir pour une œuvre qui réclamait l’énergique exercice de toutes les volontés prolétariennes éclairées gouvernant dictatorialement.

De la délégation à la Préfecture de police, nous en avons, comme celle de la Guerre, touché un mot déjà et nous aurions tout dit, ce qui est à dire du moins, dans un simple aperçu, si l’importance de certaines négociations