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aussi âpres et meurtrières. Aux Moulineaux, la redoute était prise et reprise ; le drapeau rouge y flottait un jour sur deux. Au fort d’Issy, la garnison repoussait en une semaine trois attaques nocturnes dans lesquelles l’ennemi éprouvait de lourdes perles. Dans Vanves, dans Issy, sur les coteaux de Bagneux, alertes incessantes et constantes escarmouches.

Si la Commune avait disposé à ce moment des forces qui s’étaient levées pour elle au début ou si une ferme et attentive direction avait su revivifier ces forces et les utiliser, nul doute que la partie pouvait être rétablie à l’avantage de la Révolution. Mais le désordre, la confusion allaient au contraire croissant. Deux choses essentielles continuaient à pécher : d’une pari, le commandement supérieur, le pouvoir de coordination et d’impulsion générale aussi absent, aussi nul avec Cluseret qu’avec Bergeret ou qu’avec Eudes : d’autre part, les cadres demeurés dans les compagnies, dans les bataillons au-dessous de leurs tâches, indisciplinés et incapables. Les officiers se rendaient au feu quand il leur plaisait et comme il leur plaisait ; à leur fantaisie ils quittaient la position qui leur avait été confiée. Il suffisait ainsi d’un mauvais capitaine, inintelligent ou indigne, pour paralyser la bonne volonté de cent combattants décidés et dévoués.

Au fond, dans chaque légion marchaient les bataillons qui voulaient et dans chaque bataillon les compagnies qui voulaient. Il en résulta que c’était toujours les mêmes unités qui se battaient, les meilleures. Celles-ci restaient aux avant-postes une et deux semaines, rentraient exténuées et n’avaient même pas licence de se refaire en goûtant dans leurs foyers quelques jours de repos.

« Les expéditions, a écrit Benoît Malon[1] qui fréquemment pour son compte accompagna aux tranchées sa légion du XVIIe arrondissement, étaient sanglantes et souvent les phalanges prolétaires revenaient décimées. Que de fois, on les a vus défiler devant l’Hôtel-de-Ville ! Noirs de poudre, leurs drapeaux déchirés par la mitraille, quelquefois en lambeaux, les rangs éclaircis, mais le cœur haut, ils criaient dans le bruit des tambours battant la marche : « Vive la République universelle ! Vive le Travail ! Vive la Commune ! » Ordinairement un membre de la Commune les haranguait et leur donnait un drapeau neuf en drap rouge frangé d’or. Ils recevaient avec des transports d’enthousiasme ce nouvel étendard de bataille : le bataillon le saluait, le déployait et repartait tambours et musique en tête, toujours en chantant la Marseillaise, le Chant du Départ ou Mourir pour la patrie ».

Repartait où ? Au front, vers d’autres engagements, vers de nouvelles fatigues et de nouveaux périls. Une sorte de sélection s’exerçait ainsi, mécanique, qui constituait peu à peu à la Commune une garde d’élite, une phalange héroïque, pour emprunter l’expression de Benoît Malon, mais d’effectifs perpétuellement réduits. Cette élite ne pouvait en effet réparer les brèches que

  1. Benoît Malon, La Troisième défaite du Prolétariat français, p. 220.