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du 3 avril et l’impéritie des officiers qui l’avait conduite, — il constituait cependant une force qui, par sa composition et la discipline qu’il prétendait lui imposer, semblait être surtout destinée à des opérations d’offensive accomplies en rase campagne. La pente était si glissante que plus tard Rossel tâchera, précisément avec ces compagnies de marche, de former une véritable petite armée pour guerroyer hors des fortifications et provoquer les Versaillais à une bataille rangée. D’autre part, de cette armée de première ligne, car c’était bien cela, Cluseret excluait, avec les hommes ayant dépassé la quarantaine, beaucoup des plus fermes et des plus ardents combattants de la cause révolutionnaire, ainsi qu’on le vit à l’épreuve.

Encore s’il eut su tenir la main à l’application de ses décrets, suivre son plan : mais ces décrets, comme les autres, demeureront lettre morte et son plan ne sortira pas des cartons. Il a voulu, semble-t-il, une armée jeune et active de 50 ou 60.000 combattants. Or, il n’aura jamais sur la ligne de feu plus de 5 à 6.000 présents et toujours les mêmes. Libéré de toute tutelle du côté de la Commune, ayant de la sorte carte blanche, il sera impuissant à se faire obéir du Comité central, des Conseils de Légion, du Comité d’Artillerie. Il ne pourra même instaurer quelque discipline, quelque régularité, quelque ordre dans ses bureaux, autour de lui. L’autonomie qu’il a conquise sur la Commune et qu’il garde jalousement, ses subordonnés la conquèreront immédiatement sur lui et la confusion et le gâchis prévaudront à l’hôtel de la rue Saint-Dominique comme ailleurs, plus qu’ailleurs.

Si Cluseret avait trouvé son armée, l’armée n’avait donc pas trouvé son général : les espérances de Tridon ne s’étaient pas réalisées. Cluseret tint vingt-huit jours le ministère de la guerre et après une tentative dont nous venons d’essayer d’esquisser le sens, il se laissa glissera l’apathie et à l’inertie. Ces vingt-huit jours que Versailles mit si largement à profit pour parfaire sa force militaire, la consolider, en accroître les contingents, les appuyer de l’artillerie et de tout le matériel nécessaire, Cluseret les employa à paresser et à somnoler. Une nuit que les forts de Vanves et d’Issy avaient fait un vacarme d’enfer et tenu tout Paris en émoi depuis dix heures du soir, Lefrançais, qui avait surpris Cluseret au réveil, après un long et paisible repos, disait : « Il faut avouer que la Commune possède un délégué à la guerre d’un grand calme et d’une remarquable puissance de sommeil. Mâtin, quel dormeur ! »

Cluseret alla cependant plusieurs fois au feu, et il y alla en brave, coiffé de son habituel chapeau mou, la canne à la main, sans souci des balles et des obus. Mais c’était bien de cela qu’il s’agissait. La Commune n’avait pas besoin de soldats courageux ; elle en possédait à revendre. Ce qu’elle demandait, c’était un chef militaire, un organisateur et un tacticien qui sut vivifier, ordonner les énergies combatives qui foisonnaient au profond de la classe ouvrière et se traduisirent par tant d’actes d’héroïsme déréglés et quasi-inutiles ; c’était un chef militaire qui, s’il renonçait à l’offensive, comme la leçon de l’expérience le lui