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sive de Raoul Rigault et de ses jeunes compagnons ; pour les finances, à la sollicitude routinière de Beslay et de Jourde, honnêtes gens assurément, calculateurs et comptables émérites, mais trop épris, il semble, de légalité, trop timides et trop respectueux devant les forteresses du Haut Capital. Du moins, elle avait voulu être, elle avait été dans la mesure du possible, dans les limites des forces nerveuses des membres qui la formaient, l’organe nécessaire de coordination et d’impulsion centrale. En la laissant suspecter et contester, en s’associant à ces suspicions et à ces contestations, c’est l’unité de direction, plus indispensable que jamais pourtant après l’échec de la sortie, que la Commune atteignait en elle et mettait à néant. Le pouvoir de direction allait tomber en quenouille et ce serait le commencement de la fin.

Ce pouvoir, ce n’est pas en effet la Commune qui s’en saisira et l’exercera. Pour cela, elle est trop occupée à prendre allure et figure de parlement bavard, songeant à donner publicité à ses séances, s’attardant interminablement à débattre des projets de lois et de décrets qui auraient dû être élaborés par des Commissions spéciales et ne venir devant elle que pour vote et sanction, amusée du propre spectacle qu’elle se donne, inconsciente à un degré qui déconcerte du caractère instable et précaire de son règne. L’incessante canonnade qui tonne déjà à l’horizon, malgré son éloquence brutale, ne révèle pas aux élus de l’Hôtel de Ville le mot de la situation, cependant bien clair, que la Commune n’est qu’une barricade et que derrière une barricade le seul devoir des dirigeants responsables est d’y grouper les défenseurs, de les y pourvoir d’armes et de munitions et de les y protéger contre les entreprises que l’ennemi ne manquera pas d’ourdir dans leurs rangs. La réalité terrible que la Commission exécutive avait perçue et comprise et dont elle avait essayé de conjurer les périls, la Commune l’entreverra à peine, par éclairs ; et lorsque, vers le terme, elle se décidera à réagir il sera trop tard et, à ce moment encore, ses efforts mal dirigés porteront à faux et précipiteront le fatal dénouement.

La situation ne peut donc plus s’améliorer. Elle n’ira qu’empirant. Le contrôle de la Guerre comme le contrôle de la Sûreté générale vont échapper définitivement à la Commission exécutive, ainsi du reste qu’à la Commune. Guerre. Police, Finances, les départements les plus importants qui auraient dû être conséquemment placés sous une surveillance immédiate et constante, relever d’un commun et souverain pouvoir qui stimulât leurs activités diverses et en assurât le fonctionnement concordant, vont devenir autant de services autonomes, indépendants, étrangers les uns aux autres et sur qui l’Hôtel de Ville cessera absolument d’avoir barre et autorité. Si, délégués à la Police, délégués à la Guerre ne s’insurgent pas purement et simplement contre la Commune, ce sera tout juste et parce que celle-ci n’aura pas la virilité requise pour réclamer sérieusement des comptes, réprimer les écarts, exiger le respect et l’application de ses décisions et aussi parce que ces délégués manqueront eux-mêmes de tempérament et d’audace.