de ce Parlement élu par la nation et qui n’a pu combattre la réaction, l’induit à attendre de la force militaire l’unité nationale et le salut national. La monarchie prussienne a refusé de collaborer avec la démocratie et le suffrage universel, c’est-à-dire avec la Révolution, pour créer l’Allemagne unie dans la liberté. Faudra-t-il donc que le peuple allemand désespéré et meurtri, abandonne à jamais son rêve d’unité et reste livrée toutes les surprises, à toutes les violences du dehors ? Plutôt que de se résigner au chaos éternel et à l’impuissance éternelle, il acceptera d’être sauvé par la Prusse militaire si seulement elle consent à une contrefaçon de démocratie qui soit comme la réplique de la contrefaçon napoléonienne. Ainsi les deux nations qui, à l’état de vérité démocratique se seraient réconciliées et apaisées, ne seront plus que deux mensonges vivants, deux contrefaçons de démocratie se heurtant par la violence et la ruse. De la contre révolution européenne de 1849 et 1850 sortira la fatalité de la guerre. La défiance de l’Allemagne à l’égard de la France napoléonienne est si grande qu’en 1859, au moment où Napoléon III aide Cavour à débarrasser l’Italie de la domination autrichienne, une partie de l’opinion allemande s’imagine qu’il ne combat l’Autriche que pour humilier et briser la puissance allemande et qu’il combat sur le Pô les soldats autrichiens pour aller ensuite combattre, au delà du Rhin, les soldats de la Confédération. Et ce ne sont pas des chauvins bornés qui expriment ces craintes ou du moins ils ne sont pas seuls à les ressentir. Le grand communiste et internationaliste, l’homme dont le regard était habitué à l’horizon universel et qui admirait passionnément la force révolutionnaire de la France, Marx, annonçait que Napoléon III serait bientôt sur les bords du Rhin, et il pressait l’Allemagne de se soulever toute entière pour prévenir l’invasion imminente et sauver toute la race allemande au point où elle était d’abord menacée. Il ne faisait point fi de la liberté italienne mais il disait que, délivrée par un Napoléon, l’Italie ne ferait que changer de maître. Lassalle n’approuvait point la tactique de Marx. Il disait qu’il serait impossible de provoquer en Allemagne un mouvement national en faveur de l’Autriche. Mais il prévoyait, comme Marx, que Napoléon viendrait assaillir l’Allemagne sur le Rhin après avoir attaqué l’Autriche sur le Pô, et il voulait que la démocratie allemande attendit ce choc direct de l’envahisseur pour organiser une guerre nationale d’où pourrait sortir la liberté nationale. Ce que n’avait pu produire le grand mouvement de 1815, le mouvement de 1859 le produirait, et dans une lutte décisive contre un Napoléon, le peuple allemand secouerait à la fois toute menace de tyrannie étrangère et toute tyrannie intérieure.
Ainsi s’accordaient au fond, malgré de vives contrariétés de tactique immédiate, les deux grands esprits du socialisme allemand. Quant à la Prusse, elle hésitait. Laisser les armées de Napoléon aller jusqu’à Vienne et projeter l’ombre de l’invasion sur l’Allemagne du Sud, c’était perdre toute autorité morale en Allemagne. Mais aller au secours de l’Autriche c’était s’exposer à fortifier